Globaliser la résistance en Grèce, en France et ailleurs

mis en ligne le 25 septembre 2013
1716militantsgrecsYannis : À quand remonte votre engagement anarchiste ?

Mimi : Je ressens ma fibre anarchiste depuis toujours. Petite, j’ai refusé d’accepter les évidences et de me soumettre à l’autorité. Aujourd’hui, je suis membre d’AK (mouvement antiautoritaire) où travaillent en synergie anarchistes et antiautoritaires en relation directe avec le mouvement social.

Vangelis : J’ai commencé à m’engager à 17 ans, lors du mouvement contre les réformes scolaires en 1997, puis j’ai participé à la fondation d’AK en 2003, époque où nous avons commencé à nous rassembler pour agir plus en capillarité avec la société, de façon plus ouverte et plus en profondeur.

Yannis : Pour diffuser autrement les théories et les mettre à l’épreuve de problèmes concrets ?

Mimi : Oui, parce qu’aujourd’hui beaucoup de gens sont résignés et fatigués des discours. Mais il ne faudrait pas grand-chose pour qu’ils se mobilisent, pour qu’ils s’impliquent et participent à toutes sortes d’initiatives. Les problèmes concrets ont besoin de la théorie pour être creusés, mais la théorie a, elle aussi, besoin d’actions concrètes pour se renouveler. Ni yeux fermées ni mains pures. Il faut aller au charbon avec notre boîte à outils et se mélanger avec ceux qui luttent pour diffuser notre façon de voir les choses et aider autant que possible.

Vangelis : Non seulement il nous faut trouver l’équilibre entre théories et pratiques, mais il nous faut aussi trouver plusieurs façons d’avancer de part et d’autre. Certains ne sont pas prêts à s’impliquer autant que d’autres. Il faut l’admettre, ne pas les brusquer, les laisser avancer à leur rythme et donner ce qu’ils peuvent. C’est pareil pour la théorie. Il nous faut plusieurs niveaux d’approche dans nos médias : livres, journaux, radio…
Mimi : Par exemple, une presse différente qui mélange le facile et le complexe, avec des brèves, de l’humour, de la rage, des petits textes de découverte et, parallèlement, des articles plus théoriques proposant des analyses et des recherches. On a besoin de tout ça à la fois pour vraiment intéresser tout le monde et s’ouvrir à de nouveaux participants. Même pour chacun d’entre nous, ça fait du bien, parfois, de jongler avec tout ça. Et, c’est surtout important pour accueillir tous ces gens qui n’en peuvent plus du système, mais qui ne viendront pas si on leur en demande trop d’un coup.

Vangelis : En résumé, en Grèce, actuellement, on essaie de s’ouvrir à tous, jeunes et moins jeunes, en proposant plusieurs niveaux d’action et de réflexion. On essaie de donner une image fraternelle et accueillante de l’anarchisme, non sans faire preuve de la plus grande fermeté quand il s’agit de lutter contre le capitalisme et le fascisme.
Mimi : On n’est pas des enfants de chœur, on garde le poing gauche levé bien haut, mais on ouvre aussi grands nos bras pour ceux qui songent à nous rejoindre. Certaines de nos assemblées sont ouvertes à tous. C’est important de montrer ce visage à la fois combatif et humain.

Yannis : L’assassinat de Pavlos (Killah P) ce 18 septembre au Pirée, vous l’interprétez comment ?

Vangelis : Cela montre une fois de plus la gravité de la situation et comment tout ce nœud de vipères fonctionne. Plus personne ne peut feindre de ne pas savoir et continuer à jouer au con, au gentil, avec nos ennemis. Les hypocrites et les passerelles sont à jeter aux orties comme leurs amis fachos. Soit on est avec nous contre les fachos. Soit on est contre nous avec eux. Il n’y a plus de place pour la neutralité, la demi-mesure et les bonnes manières prétendument « démocrates ».
Mimi : Oui, il faut faire tomber les masques partout. C’est urgent. Le fascisme pénètre de plus en plus la société et l’opinion. Il faut contrer ce repli identitaire qui se sert de la dérive toujours plus autoritaire et antisociale du système pour nous ressortir le nationalisme sous prétexte de protectionnisme, de frontières et de « protection du peuple ». Il faut faire comprendre aux gens que c’est un piège, que la seule solution est par le haut : dans la convergence internationale des luttes et la globalisation de la résistance.

Vangelis : D’autant plus que le nationalisme revient en force partout en Europe. Nous allons assister à un face-à-face entre nos propositions libertaires, humanistes, autogestionnaires et internationalistes et leur petite musique qui endort les gens à coups d’hommes ou de femmes providentielles, de priorité nationale, d’union sacrée. Ça se joue maintenant et nous avons pris du retard sur eux.

Mimi : Aujourd’hui, les néonazis sont main dans la main avec la police grecque. Il suffit de voir comment ils ont détruit l’espace social libre Synergeio à Ilioupoli, à 20 km à l’est d’Athènes. Les motards de la police en tenue étaient présents à quelques mètres et ont assisté à toute la scène (on vous montrera des photos, lors des projections-débats). Ils sont complètement de mèche et votent, pour la plupart, pour le parti nazi Aube dorée. De même, lors de l’assassinat de Pavlos, les policiers étaient là et n’ont pas bougé, sauf une flic qui s’est avancée, mais trop tard, quand Pavlos avait déjà été poignardé au cœur et à l’abdomen. Durant les émeutes qui ont suivi ce crime, les miliciens d’Aube dorée étaient aux côtés des MAT (CRS) pour réprimer les antifascistes en colère et ont blessé beaucoup de manifestants, comme l’a confirmé, dans un communiqué, le comité des personnels de santé de l’hôpital du Pirée.

Yannis : On a raconté, en France, que Pavlos était membre d’Antarsya (équivalent du NPA).

Vangelis : C’est faux. Pavlos n’était membre de rien. Uniquement du mouvement antifasciste. Il était plutôt sur le Pirée et ne venait à Exarcheia que pour les grands événements. On diffusait ses chansons sur Radio Entasi. De même que d’autres groupes de rap amis communs comme Xasmwdia, qui ont participé à la musique du film Ne vivons plus comme des esclaves. Il faisait partie de la grande famille de ceux qui essaient de faire bouger les choses dans le bon sens : celui de la justice, de l’égalité, de la liberté.

Yannis : Pour la première fois, Samaras (le Premier ministre grec) parle d’interdire Aube dorée. Intox ?

Vangelis : Il ne le fera pas. Et, quand bien même il le ferait, ça ne changerait rien : c’est trop tard ! Aube dorée changerait juste de nom et continuerait sa marche vers le pouvoir et son rôle de chien de garde pour l’instant. Et puis la droite et l’extrême droite ne sont pas des ennemis. Ils sont complémentaires. Les uns détournent la colère au profit des autres et participent à la répression généralisée. C’est le grand piège politique qui nous est tendu, en Grèce comme en France. La solution est sur le terrain, dans l’action, dans la lutte et dans la création d’alternatives.

Yannis : Vous faites souvent référence à Foucault et à son concept d’hétérotopie pour parler de la création d’alternatives.

Mimi : Parce que Foucault montre l’importance de la marginalité sous toutes ses formes. On a besoin de la diversité la plus radicale pour avancer.
Yannis : Foucault, qui précise d’ailleurs que le fascisme n’est pas du tout dans la marge, mais qu’il est au contraire la radicalité dans la normalité, la volonté autoritaire et psychorigide que tout soit bien normal, absolument conforme à un ordre sans digression ni transgression.

Mimi : Oui, c’est pour ça que le fascisme est la logique du capitalisme poussée à l’extrême : d’une part, un modèle uniformisé qui ne tolère pas la différence et, d’autre part, une inégalité sociale qui impacte violemment les conditions d’existence. Le fascisme, c’est le coup de bâton du capitalisme quand il peine à se faire obéir. Les différences avancées par les médias de masse sont bidon. Notamment la nature démocratique du régime qui serait une différence, puisque le système actuel n’a rien de démocratique.

Vangelis : Exercheia, notre quartier à Athènes, est une hétérotopie. C’est un lieu où l’on expérimente l’utopie, on la travaille, on la met à l’épreuve de la réalité, mais aussi un lieu qui permet de la donner à voir à l’extérieur, à ceux qui doutent, qui croient qu’un autre monde n’est pas possible parce qu’ils baignent dans la résignation distillée par la machine médiatique et politique.

Mimi : La force d’Exarcheia est d’être à la fois un mythe et une réalité. L’une des forces d’Exarcheia est d’attirer les gens qui veulent changer le monde et se rapprocher de l’anarchie. Des gens pour lesquels Exarcheia est un mythe et qui veulent contribuer à ce mythe, à lui donner plus de force et plus d’ancrage dans la réalité.

Vangelis : La réalité crée du mythe qui crée à son tour une nouvelle réalité. Le mythe n’est pas un mensonge, une légende sans réalité. C’est une fenêtre ouverte dans l’imaginaire qui nous permet de nous évader, d’oser essayer de vivre autrement dans un lieu un peu à part dans la ville. Exarcheia, c’est seulement 40 000 habitants dans une mégalopole de presque 4 millions d’habitants. À peine 1 % d’Athènes ! Mais tout le monde parle d’Exarcheia, en bien ou en mal. Ce quartier, on l’adore ou on le déteste et, surtout, on s’en fait chacun une idée différente, une représentation symbolique différente. Pour moi, c’est le cœur du cœur d’Athènes. C’est l’épicentre de la résistance en Grèce. C’est le berceau des utopies en actes.

Mimi : Dans un si petit quartier, il y a quinze espaces sociaux libres anarchistes ou gauchistes, presque toutes les maisons d’édition de Grèce, plus de quarante imprimeries, une trentaine de librairies, souvent coopératives, autant de scènes musicales alternatives et des bars qui sont aussi des lieux d’échange.

Vangelis : Même notre petite place centrale, qui n’est qu’une fiente de pigeon, a été le carrefour d’événements historiques exceptionnels. Combien d’émeutes, de révoltes, de révolutions, de créations, d’utopies ?

Mimi : On attend volontiers tous ceux qui veulent venir contribuer à cette histoire, mais pas en touristes. Si des compagnons viennent nous voir, on compte sur eux pour participer, pas pour regarder et prendre juste des photos ou des vidéos et repartir. Il faut se poser, essayer de comprendre, respecter, ne pas faire de contresens, ni nous imposer par la suite des associations douteuses et inacceptables dans des films, mais participer à ce qui se fait, puis, pourquoi pas, proposer, impulser.

Vangelis : Et ne pas venir pour nous jeter des cacahuètes au zoo d’Exarcheia !

Yannis : Certains comparent Exarcheia à Marinaleda en Espagne. Qu’en pensez-vous ?

Mimi : On aime bien Marinaleda, on les a même fait venir ici, mais c’est très différent.

Vangelis : Oui, avec tout le respect qu’on a pour ce qui se fait là-bas, j’aime le fait qu’à Exarcheia on vive en réseau, pas en communauté. L’auto-organisation ne décide pas tout. L’autogestion se décline diversement selon les projets un peu partout dans le quartier. À Exarcheia, ce fonctionnement permet plus de liberté, de créativité, d’anarchie.

Mimi : On a des assemblées de quartier où on lance tous ensemble un dispensaire médical autogéré, une épicerie sociale sans intermédiaire ou des actions antifascistes, mais tout le reste se décide individuellement ou en petit collectif. C’est ça la plus grande différence.

Vangelis : Après avoir dit tout ça, j’ai envie d’en savoir plus sur ce qui se fait en France, chez nos compagnons. Vivement le 28 septembre qu’on arrive ! D’abord pour qu’on se connaisse mieux et puis qu’on réfléchisse à tout ce qu’on pourrait faire ensemble !






1. Réalisateur du film Ne vivons plus comme des esclaves, auteur de Paroles de murs athéniens, Derrière les mots et de Exarcheia la noire (avec des photos de Maud Youlountas) qui paraît cette semaine aux Éditions libertaires. Site du film en diffusion gratuite : http://nevivonspluscommedesesclaves.net/