Si la vraie droite nous était contée

mis en ligne le 20 juin 2013
1711JhanoIl est un point cardinal sur lequel s’accordent encore même ceux qui s’insurgent contre la politique « de droite » que mène François Hollande : il fallait d’abord que Sarko « dégage » pour rendre possible une politique « de gauche ». Tel est en effet l’incontournable argument de la démocratie représentative, qui clôt toute discussion : votez contre, et on verra après. Mais les faits sont têtus et la leçon électorale s’impose d’elle-même : il fallait que Sarko « dégage » pour qu’une vraie politique de droite soit mise en œuvre !
À peine retombés les échos triomphaux des grandes orgues républicaines chargées d’accompagner l’élection du président de la République au suffrage universel, voici la marche funèbre : la trahison des espérances, la déception des électeurs trompés par les promesses non tenues du candidat ! Sauf qu’en politique, comme la fonction des promesses n’est d’être justement que des promesses, ce sont elles qui sont appelées à assurer la continuité de la politique qu’elles devaient empêcher. Discuter sur les raisons pour lesquelles les élus ne peuvent respecter leur parole, c’est le plat que la démocratie représentative repasse.
Vous avez dit lutte contre la finance ? Vous pouvez donc être sûrs que la finance va continuer à mener le monde, et qu’on va tout au plus adapter le système aux nouveaux besoins d’accumulation du capital. Quant aux rémunérations des patrons, parions que rien de ce qui sera décidé ne les mettra sur la paille.
Chômage, flexisécurité, retraites, compétitivité, coût du travail ? On peut interroger dans un sens ou dans un autre toutes les mesures prises, ou à prendre, on s’apercevra que la même logique est à l’œuvre, sauf que, contrairement à ce qui est claironné, rien de ce qui a été dit avant les élections ne peut contredire ce qui est aujourd’hui mis sur la table. C’est même le contraire qui est vrai et qui donne le caractère nouveau de ce quinquennat : la seule promesse que j’ai faite est que je ne ferai aucune promesse que je ne puisse tenir ; donc je ne tiendrai aucune des promesses que vous me prêtez en fonction de ce que vous attendiez de moi. Je ne ferai que ce pour quoi j’ai été élu : endosser la politique que la droite peinait à mettre en œuvre, car seule la gauche peut réaliser les mesures de régression sociale que commande le nouveau cycle du capital.
« François Hollande président des renoncements », titrait tel journaliste qui ne renonce jamais à resservir, sur un autre air, l’antienne que l’on entend à la suite de chaque élection qui ouvre le pouvoir à un gouvernement de gauche. En réalité, Hollande n’a renoncé à rien de ce pour quoi il a été porté aux affaires ; à rien de ce que lui permet la période historique dans laquelle a eu lieu le changement, et de ce qu’il est possible à la nouvelle équipe gouvernementale d’accomplir en tant que gérante honnête, et bien souvent malhonnête, du capitalisme.
Jeter des sondes pour savoir où se situe le point de rupture, avancer puis reculer de deux pas pour mieux savoir où poser les pieds en toute sécurité, laisser entendre une chose pour mieux faire passer ce qu’on a en vue – toute la première année du quinquennat aura été le quadrillage du terrain sur lequel va maintenant avoir lieu le grand nettoyage. Loin d’être irrésolu et velléitaire, Hollande s’est révélé en ce domaine manœuvrier redoutable, parce que non redouté, et l’image un peu gauche qu’on donne de lui est un atout supplémentaire. Son double jeu, toujours orienté de la même manière, aura été parfait pour faire table rase du passé socialiste, si bien que la question ne se pose même plus et que la poser relève de l’inconscience… de classe.
Je ne veux recevoir d’ordre ni de Bruxelles et ni de la BCE, je ferai de moi-même ce que la situation économique – entendons le taux de profit – me commande de faire et le résultat dépassera leurs directives. Tel pourrait être le programme du Grand Liquidateur. Liquidateur du socialisme, certes, mais aussi de la manière même dont ses prédécesseurs avaient déjà commencé à faire le ménage.
La réforme sociale, elle consiste uniquement à revenir sur les anciennes conquêtes ouvrières pour que le patronat ne se sente plus lésé, et l’inversion du sens est en ce domaine parfaite. La gauche est ainsi faite que l’on arrive à ce paradoxe : les critiques les plus virulentes viennent de « la droite » qui lui reproche de ne pas aller plus loin et plus vite pour réaliser ce qui était resté en souffrance dans les cartons de Sarkozy.
Faut-il oublier pour autant les intraitables du Front de gauche, familiers du grand écart ? Après avoir aidé les nouveaux maîtres à investir la place, les voilà qui maintenant, frustrés de leur part de gâteau, crient au voleur, mais remplissent fidèlement leur rôle d’« idiots utiles », en réserve de la république.
Le hasard peut faire tomber le lecteur sur un ouvrage, à forte tonalité polémique, qui fut publié en 1986 et qui porte pour titre La deuxième droite 1. Quel ne sera pas son étonnement ! Si l’on en croit les deux auteurs, sans doute guidés par le ressentiment, toutes les mesures mises en chantier aujourd’hui étaient déjà au cœur de la politique de l’État-PS dans les années 1980 et nombre de ceux qui sont aujourd’hui aux commandes étaient déjà là, en train de se faire la main ! Une différence de taille pourtant : une partie du mitterrandisme consistait à justifier les reniements et les retournements en se référant aux principes socialistes que la dure réalité obligeait à écorner. Après les contraintes et les détours, on reviendrait aux revendications des exploités. Tout le discours « socialiste » reposait sur cette ambiguïté et sur la nécessité de faire la part des choses sans renoncer à l’essentiel. Et c’est pourquoi l’intelligentsia trouvait dans cette situation un terreau d’une incomparable richesse, où tout son art de la casuistique pouvait se déployer.
C’est le contraire qui est vrai aujourd’hui : l’éradication de toute référence au socialisme, au réformisme social et aux conquêtes ouvrières est mise en avant comme preuve de la détermination et du courage des dirigeants. Qu’on soit obligé de s’engager sur le chemin de la rigueur, certes, mais les classes populaires ont tout à y gagner. Ce que leurs rivaux échouaient à faire, ce que leurs prédécesseurs hésitaient à assumer, eux auront le courage de le réaliser, comme Gerhard Schröder en Allemagne. Jaurès ne pèse pas lourd face au modèle allemand ! Et l’intelligentsia saura là encore donner le ton, même s’il lui faut patienter quelque temps avant de trouver que Hollande est finalement the right man in the right place. Ce qu’il est en réalité !
Finis les atermoiements et la mauvaise conscience face à la réalité. Moscovici a parfaitement résumé la vision de l’avenir de ces commis du capital : « Les entreprises sont au cœur de notre politique économique : nous voulons les aider à créer de la richesse et des emplois, à investir et à embaucher. » L’exploitation au cœur ! Tel est le mot d’ordre de ces agents d’exploitation !
C’est pourquoi, en lisant les pages de La deuxième droite, on peut dire que le temps ne fait rien à l’affaire. Nous n’avons pas seulement un tableau de ce qui restera au bout des deux septennats de François Mitterrand : un passé en démolition, celui du socialisme comme des références à l’histoire et à ses aspirations ; mais également, mais surtout, l’annonce de ce qui était alors en préparation : rendre les intérêts de gauche et de droite politiquement et socialement compatibles dès lors qu’il faut liquider l’héritage social des luttes ouvrières et aplanir la voie au tout-capital.
La deuxième droite s’ouvrait sur cette image : Mitterrand, l’homme au masque de sire, déposant comme en secret un pot de chrysanthèmes sur le cénotaphe dans lequel était censé reposer le socialisme. Hollande, incarnation de la vraie droite, cette fusion parfaite de toutes les mesures de régression et de répression prises pour réduire à merci le mouvement ouvrier et l’histoire populaire, Hollande n’a eu qu’à se baisser pour prendre au vu et au su de tous le pot de chrysanthèmes et le jeter aux orties. Foin des cérémonies funéraires qui portent encore en elles l’illusion de ce que l’on prétend enterrer ! C’est à la vie, celle des patrons de l’entreprise France, mais pas seulement, qu’il se voue, sans aucune arrière-pensée idéologique : telle est la tâche que lui commandent sa fonction et la situation dans laquelle se trouve le capital en son pays, et il la mène à bien, sans aucun état d’âme et sans aucune mémoire qui pourrait le mettre en contradiction dans ses choix.



1. Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, La deuxième droite (1986), Marseille, Agone, 2013. Avant-propos de Thierry Discepolo et Éric Sevault, « Trente ans après. Retour sur le retour du PS ».