Flic, sous l’uniforme tu restes un travailleur

mis en ligne le 13 décembre 2012
Autant lever immédiatement toute ambiguïté, le titre de cet article est évidemment provocateur et n’est que le pastiche d’un slogan des années 1970 à destination, alors, des soldats effectuant leur service militaire (appelés sous les drapeaux, comme on disait). Habitués que nous sommes en France à voir le comportement des forces de l’ordre (c’est-à-dire du pouvoir en place) comme à Notre-Dame-des-Landes par exemple, on ne se fait aucune illusion sur leur conscience de classe. Aussi, qu’elle n’a pas été notre surprise à la lecture de la lettre ouverte qu’un syndicat de la police espagnole a adressée à son ministre de tutelle. On ne résiste pas au plaisir d’en livrer ici la traduction intégrale, des fois que ça donne l’idée aux syndicats équivalents français qui liront ces lignes (si, si, il y en a !) d’avoir la même démarche envers leur taulier à eux, Manuel Valls.

Lettre de flics à leur ministre
Ce courrier émane donc du Syndicat unifié de police (SUP), signé par son secrétaire général, Juan Manuel Sánchez Fornet, et adressé au ministre de l’Intérieur du gouvernement espagnol.

À Monsieur le ministre de l’Intérieur (Madrid, le 28 novembre 2012)
« Monsieur le ministre,
Hier des membres de différentes unités d’intervention de police (UIP) participaient à l’entraînement de Linares (province de Jaén). Une équipe TV filmait les exercices qui se déroulaient sous la direction du commandant des unités, le commissaire Igusquiza. Il n’a pas cessé d’insister pour que l’on soit plus incisifs, a ordonné des tirs de flash-ball et manifesté sa réprobation devant la mollesse desdites unités au cours de certaines actions.
« Résultat de ces instructions : trois boucliers de protection ont été brisés par l’impact des balles en caoutchouc (qui en principe doivent être dirigées vers le sol, et non directement sur les boucliers, ce qui nous entraîne ainsi pour qu’à l’avenir on fasse de même sur les citoyens).
« En plus des boucliers endommagés, huit membres de l’UIP ont été blessés de diverses façons : genoux, tibias, yeux et même, pour l’un d’eux, testicules (il s’agit d’un chef d’unité qui a dû être transporté dans un centre médical).
« Ce qui s’est passé au cours de ces exercices est une calamité qui tend à instaurer des pratiques illégales et dangereuses pour les citoyens, pouvant avoir de lourdes conséquences, tant par les graves blessures physiques infligées aux personnes que par le discrédit occasionné au corps national de la police. Si vous persistez dans cette voie (ainsi que les états-majors), vous nous ferez assimiler plus à la police franquiste qu’à la police démocratique que nous avons eu tant de mal à construire (certains plus que d’autres). Au vu du rejet social qui se produira, nous serons obligés de cacher la profession que nous exerçons à nos voisins et à nos enfants.
« Au SUP, nous considérons que votre gouvernement, ainsi que certains postes de commandement, mettent en place une stratégie consistant à faire de la police le rempart, le support et le récepteur d’une partie du malaise social dû à votre politique, n’envisageant certaines actions que d’une seule manière ; ne manque plus qu’à donner aux forces de l’UIP les consignes pour agir en dehors du protocole dans les conflits sociaux.
« Monsieur le ministre, vous et votre gouvernement, cherchez-vous à ce qu’il y ait un mort en Espagne, qu’il soit citoyen ou policier, afin de détourner l’attention et de justifier de futures actions plus musclées contre ceux qui s’opposent à votre gouvernement ? Si ce n’est pas le cas (par ignorance de ce qui se passe dans votre ministère), ça y ressemble fort.
« Nous vous demandons de cesser de donner des ordres pour placer des commissaires membres de votre organisation religieuse à certains postes pour lesquels ils n’ont pas les compétences requises, et de vous préoccuper de l’action de la police, de la sécurité de ses membres, et du respect des droits des citoyens. »


Rassurons-nous sur le rôle « démocratique » de ce syndicat : son secrétaire général défendait il y a peu le fait que des policiers en civil puissent intervenir dans les manifestations, précisant qu’il ne s’agissait pas d’agents provocateurs, ce qui, d’après lui, n’est qu’« un vieil argument de l’extrême gauche qui fait rire les policiers » (ben voyons !). Il poursuit en déclarant que « le fait qu’un policier s’infiltre et se promène avec un bâton ne veut pas dire que d’autres que lui puissent se mettre à distribuer des coups en suivant son exemple ». Entendu. La fraternisation manifestants-policiers, c’est pas pour demain, ni en Espagne ni chez nous. Mais qand même, pour en revenir au courrier adressé au ministre de l’Intérieur espagnol, vous imaginez la tête de Valls recevant une telle missive ?

La tête de Valls recevant une telle missive
Mais qu’il se rassure, chez nous la police est beaucoup plus respectueuse de sa hiérarchie et de son ministre de l’Intérieur. Elle l’a toujours été d’ailleurs ; il n’y a qu’à considérer son attitude sous le gouvernement de Vichy. On n’a pas manqué, après la Libération, d’installer sur les murs de Paris des plaques commémoratives à la mémoire des membres des forces de l’ordre morts en ayant participé à la libération de la capitale en août 1944 (et parfois à partir de la 25e heure). Par contre, on n’a pas procédé de même en gravant sur d’autres plaques la liste des policiers qui ont collaboré, réprimé, déporté sans se poser de questions, en acceptant d’obéir aux ordres les plus crapuleux des autorités. Il est vrai que, si on avait établi ce genre de listes, il n’y aurait sans doute pas eu assez de murs dans tout Paris pour les placarder. De même, en octobre 1961, face à une manifestation de travailleurs algériens, notre police a eu l’occasion d’étaler son savoir-faire en matière de répression sous les ordres de l’éminent spécialiste qu’était le préfet Papon. Mai 1968, grèves, occupations, Larzac, Notre-Dame-des-Landes, les temps changent, mais pas les méthodes : les occasions n’ont jamais manqué dans notre pays pour voir combien nos forces de l’ordre étaient proches de la population, très proches même, jamais plus loin qu’une longueur de matraque. Tellement efficace qu’en son temps Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, proposait d’exporter l’expérience et l’aide de nos services de répression à la Tunisie de son grand ami Ben Ali.
Pas d’illusion à se faire, donc, sur ces forces censées nous « protéger », qu’il s’agisse de soldats, de flics ou de matons, on a beau m’expliquer qu’il s’agit de fils de prolétaires, ils ont bel et bien choisi de défendre des intérêts qui ne sont pas ceux de leur classe ; alors, même s’ils sont syndiqués, j’ai toujours autant de mal à voir des travailleurs sous l’uniforme.