Si j’étais réformiste, je serais Gérard Filoche

mis en ligne le 14 novembre 2012
Il est énervant, Filoche. Moi, il m’agace, parce qu’il m’a piqué mon texte. Pis : il l’a glissé dans son discours au congrès du PS de Toulouse. Enfin le texte que j’aurais écrit si j’avais été réformiste. Mais, je vous rassure, je suis anarchiste comme vous.
Anarchiste, peut-être. Mais tout de même, je vois Ayrault, Premier ministre soi-disant socialiste, faire un cadeau de 20 milliards d’euros aux patrons, en pleine période de crise du budget de l’État (qui est aussi celui de la collectivité, des services publics et de la protection sociale), sur les conseils avisés de Jean-Louis Gallois, patron prétendu de gauche. Ces milliards, il faudra bien les trouver quelque part. Facile : on augmente le prélèvement le moins progressif et le plus brutal pour les pauvres, la TVA.
Je vois le gouvernement du changement et de la justice (c’est eux qui le disaient) voler aux pauvres pour donner aux riches. Anarchiste donc, tout de même, le pied me démange de botter deux-trois culs. Et pas seulement au bénéfice de la révolution, mais à celui tout bête de la vie quotidienne.
Revenons à Filoche et à son discours. Je passe sur le couplet républicain social du début, et son étrange défense du déficit budgétaire, il est sans intérêt ni grande pertinence. Mais lisez la suite :
« Et tous les matins vous avez la droite qui arrive et qui vous dit : “Le coût du travail est trop élevé ! Le coût du travail est trop élevé !” D’abord le travail c’est pas un coût, c’est une richesse. Et si il y a quelque chose qui est trop élevé, c’est le coût du capital, c’est pas le coût du travail ! »
En effet : la production de valeur naît du travail. Une évidence pour un socialiste (libertaire ou réformiste). Mais une évidence qui manifestement ne guide pas les actes de l’actuel gouvernement. Où passe la frontière droite-gauche, je vous le demande ! Puis ceci :
« Et on nous dit aussi tous les matins “Faut alléger les charges sociales ! Faut alléger les charges sociales !” Y a pas de charges sociales ! Ça n’existe pas. Ce sont des cotisations sociales. C’est du salaire brut. […] C’est une part du salaire mutualisé mise dans un pot commun, redistribué à chacun selon ses besoins, quand il est malade, en situation de famille nombreuse, en recherche de logement, quand il est en accident du travail, quand il est au chômage et quand il est en retraite. C’est magnifique, les cotisations sociales. Faut pas les laisser baisser ! Faut pas les laisser se faire attaquer ! Faut pas accepter que tous les matins ils nous mentent en disant “Baissez les charges sociales !”, qui n’existent pas ! C’est qu’ils veulent vous prendre l’argent dans votre porte-monnaie ! »
« Une part du salaire mutualisé mise dans un pot commun, redistribué à chacun selon ses besoins. » Là encore, que puis-je ajouter ? Bien sûr qu’il faut défendre ces petits embryons de mutualisme, ces ébauches, même maladroites, d’une société fondée sur l’utilité plus que sur la marchandise 1.
« Y a 187 milliards de dividendes l’année dernière. Et les dividendes ne servent à rien. Il n’ont pas d’utilité économique, ils n’ont pas d’utilité sociale. Ils vont dans les îles Caïman, ils vont dans les caves à subprimes. C’est sur les dividendes qu’il faut prendre l’argent, pas sur les cotisations sociales, pas sur les petites retraites, pas sur les petits salaires. L’argent existe, la France est riche. Elle n’a jamais été aussi riche, et les richesses aussi mal redistribuées. Ils nous parlent de crise pour nous faire baisser la nuque, mais pour eux c’est pas la crise. »
« Pas d’utilité sociale. » Précisément. Être réformiste aujourd’hui, c’est chercher dans la société marchande ce qui a de la valeur mais pas d’utilité, et le transformer en bien-être pour tous et chacun. Autrement dit, même un réformisme conséquent ne peut se passer d’une réévaluation complète de l’économie à l’aune de la valeur d’usage.
Moi qui en tiens pour la révolution, ça ne me satisfait pas pleinement, bien sûr. Pas plus, je n’y vois un pas vers une transformation progressive du monde vers le socialisme. Non, je n’y vois pas cela. Mais j’y vois deux autres choses : une remise au centre, comme sujet social, des travailleurs, en tant que producteurs et consommateurs ; et les balbutiements de ce mouvement de compréhension du monde qui mettra les besoins et les désirs des êtres humains, et leur capacité à décider de leur donner corps, au premier rang des préoccupations. Et, ces deux prémisses, je les juge, moi, nécessaires à l’avènement d’une révolution réellement libératrice.

Moïse Cailloux








1. On peut même imaginer, par exemple, de désolidariser le revenu du travail (mais, à mon humble avis, pas de la disponibilité pour travailler), et de créer un revenu social généralisé qui remplace le salaire. Versé par un organisme mutualiste, il serait financé par les entreprises, qui perdraient du coup le rapport de subordination directe avec les travailleurs. Tout cela en bon réformiste, sans abattre l’économie de marché.