1918, Moscou : conférence des anarcho-syndicalistes russes

mis en ligne le 7 juin 2012
La Révolution russe a débuté il y a quelques mois, les premières divergences apparaissent avec le pouvoir bolchevique. Les anarcho-syndicalistes russes se réunissent à Moscou du 25 août au 1er septembre.

Sur le moment présent
Considérant que notre révolution est une révolution sociale qui doit provoquer l’embrasement mondial d’un affrontement décisif des classes ; et prenant en considération qu’elle se trouve actuellement sous la triple menace contre-révolutionnaire de la bourgeoisie étrangère, de la contre-révolution intérieure et du parti actuellement dominant, devenu contre-révolutionnaire après la conclusion de la paix de Brest-Litovsk et de la trahison du prolétariat et de la paysannerie de Pologne, de Lituanie, d’Ukraine, de Finlande et autres.
La première conférence pan-russe des anarcho-syndicalistes estime indispensable et de toute urgence d’organiser ses forces pour la lutte contre les ennemis de la révolution et de la classe ouvrière, afin de poursuivre et approfondir la révolution commencée.
Dans ce but, la Conférence des anarcho-syndicalistes recommande aux camarades, en ce moment donné, de tendre à réaliser et d’imprégner la conscience des classes laborieuses de la nécessité de la lutte pour :
1) La suppression du capitalisme d’État et de tout pouvoir.
2) La révolution communaliste, sur le plan politique, par l’union des soviets libres sur la base du fédéralisme ; la révolution syndicaliste, sur le plan économique, par une même union des organisations indépendantes des ouvriers et des paysans sur une base de production.
3) La création de soviets libres de délégués (les ouvriers et paysans) et la suppression de l’institution des commissaires du peuple, en tant qu’organisation hostile aux intérêts de la classe ouvrière.
4) La suppression de l’armée, en tant qu’institution, et l’armement général des ouvriers et paysans, en montrant l’absurdité de la « patrie socialiste », car il n’y a que le monde entier qui puisse être tel.
5) Le combat contre la réaction blanche, comme par exemple les Tchécoslovaques et autres mercenaires de l’impérialisme mondial, sans oublier que le parti anciennement archirévolutionnaire des bolcheviks est devenu le parti de la stagnation et de la réaction.
6) Le transfert de la question du ravitaillement entre les mains des organisations paysannes et prolétaires, l’arrêt des réquisitions forcées et des mesures policières à la campagne ; de telles mesures provoquent l’hostilité des paysans envers les ouvriers, affaiblissent le front révolutionnaire et font le jeu de la contre-révolution.

Sur les soviets
Prenant en considération :
1) Le rôle des soviets dans la lutte contre la contre-révolution.
2) Le mécontentement des ouvriers vis-à-vis de la tactique des bolcheviques à l’égard des soviets et des autres organisations ouvrières, qui ne fait que croître.
3) La dictature des bolcheviks sur les soviets et les organisations ouvrières qui pousse les ouvriers à droite, vers l’Assemblée constituante.
4) Que pour sortir la révolution de l’impasse, il faut une grande énergie et une pleine responsabilité de la part des travailleurs et qu’il est pour cela nécessaire de restaurer les soviets en tant qu’organisation purement de classe. Que les travailleurs doivent avoir des soviets une compréhension plus claire et déterminée, afin de mener un combat victorieux.
Nous, anarcho-syndicalistes, déclarons :
1) Nous sommes pour les soviets qui tendent à la destruction des formes centralistes actuelles.
2) Nous avons lutté et lutterons pour les soviets, en tant que forme politique transitoire, car nous considérons que la fédération des villes et des communes libres apparaît comme la forme politique transitoire de la société, devant inévitablement mener à la suppression totale de l’État et au triomphe définitif du communisme.
3) Nous sommes pour les soviets, mais sommes catégoriquement contre le Soviet des commissaires du peuple, en tant qu’organe ne découlant pas de l’œuvre des soviets, mais au contraire ne faisant que la gêner.
4) Nous sommes pour les soviets réellement représentatifs, organisés sur des bases collégiales, sous réserve d’une délégation directe des ouvriers et paysans d’une usine donnée, d’une fabrique, d’un village, etc., et non de politiciens bavards y entrant sur des listes de parti et qui transforment les soviets en salons de bavardages démagogiques.
5) Nous sommes pour la fédération des soviets, où les soviets locaux autonomes s’unissent sur le plan du district et de la région ; et aussi pour que périodiquement des congrès généraux pan-russes s’assemblent et s’organisent en commissions conçues sur le modèle du soviet.
6) Nous sommes pour les soviets libres ne prenant de mesures qu’après consultation des électeurs locaux qui se tiennent à l’écart des comités centraux de tous les partis possibles, s’il est encore possible d’y mener un travail libre et créateur.
Sur les comités d’usine et de fabrique et les syndicats
1) Il est indispensable de procéder à une transformation radicale et immédiate de l’économie du pays, la bourgeoisie impérialiste l’ayant acculée, par la guerre et le pillage, à une situation désespérée ; il faut abolir le système capitaliste d’État et le remplacer par un système socialiste basé sur des principes communistes libertaires.
2) Les organisations ouvrières doivent jouer le rôle le plus actif dans cette œuvre, chacune sur son terrain défini par la vie (sans permettre en cela aucune intervention de l’État ou d’organisations étatiques).
3) Les syndicats, ainsi que l’a montré la révolution actuelle, ne peuvent être l’axe du mouvement ouvrier, du fait qu’ils ne correspondent pas à la situation politique et économique changeante actuelle, ni par leur forme ni par leur nature. À présent, une nouvelle forme d’organisation ouvrière correspond pleinement aux nouvelles formes révolutionnaires de la vie économique et politique, tant par ses structures que par sa nature. Cette nouvelle forme d’organisation est le produit de la grande révolution laborieuse : les comités d’usine et de fabrique. Dorénavant, le centre de gravité des aspirations ouvrières doit se transporter dans cette forme d’organisation.
4) Les syndicats, dans leur sens habituel, sont des organisations mortes. Désormais, ils apparaissent comme une section du comité d’usine et de fabrique, menant un travail complètement autonome dans les secteurs suivants : éducatif et culturel (seulement là où les organisations prolétariennes culturo-éducatives n’ont pas pris corps) ; de solidarité ; dans les cas d’aide individuelle, où le comité d’usine, la bourse du travail et la coopérative ouvrière de consommation n’ont pas à intervenir.
5) Le comité d’usine et de fabrique est la forme organisationnelle de combat de tout le mouvement ouvrier, considérablement plus achevée que les soviets de délégués des ouvriers, paysans et soldats, du fait qu’il apparaît comme l’organisation autogérée de production à la base et parce qu’il se trouve sous le constant et vigilant contrôle des ouvriers. C’est sur lui que la Révolution fait reposer l’organisation de la vie économique à partir des principes communistes. Là, où il n’est pas possible de créer des comités d’usine et de fabrique, les syndicats remplissent leurs fonctions.
6) Le comité d’usine et de fabrique est notre organisation future, jeune et dynamique, pleine de vie et d’énergie ; les syndicats notre organisation ancienne, vieille et usée. Le comité d’usine et de fabrique est l’une des formes les plus achevées d’organisation ouvrière, dans les limites de l’ordre étatique et capitaliste actuel en train de crouler, ainsi que le premier organe social de base dans la future société communiste libertaire.
Toutes les autres formes d’organisation ouvrière doivent s’effacer devant lui, car elles ne peuvent être que ses ramifications.
Avec l’aide des comités d’usine et de fabrique et de leurs unions, réalisées fédérativement, la classe ouvrière anéantira aussi bien l’esclavage économique actuel, que son nouvel aspect, le capitalisme d’État, qui se fait appeler « socialisme ».