Espagne : ni coupables, ni responsables

mis en ligne le 7 juin 2012
C’est du moins ce que le gouvernement espagnol voudrait faire croire à la population. Le scandale de Bankia n’en est donc pas un, il n’y a ni coupables ni responsables, mais une sombre fatalité qui provoque un cas unique, la faute à pas de chance quoi… Petit rappel des faits : Bankia est un organisme bancaire ou plus exactement un conglomérat de sept caisses d’épargne régionales, créé en 2010 suite à la crise immobilière qui affectait l’Espagne depuis 2008. Le problème étant que Bankia (comme beaucoup d’autres banques à travers le monde) s’est retrouvée avec un nombre phénoménal de créances immobilières douteuses (pour ne pas dire pourries). De par son importance (4e banque espagnole), son sauvetage plombe l’économie espagnole. Sa recapitalisation nécessite un apport de près de 24 milliards d’euros. Quatre et demi ont été versés, ne manquent plus que… dix-neuf. Le gouvernement a dû convenir que le Fonds de garantie des banques espagnoles (Frob) n’est pas en mesure d’aider les banques en difficulté (le « pauvre » Fonds ne disposerait que de 5 milliards).
La Banque centrale européenne (BCE) aurait donc été sollicitée par Madrid et aurait refusé de mettre la main à la poche. « Aurait », car très vite la BCE a démenti avoir refusé de verser une aide que Madrid a démenti avoir demandée. Cékikiment ? Quoi qu’il en soit, l’État espagnol va devoir éponger les 19 milliards restants, et comme l’État c’est nous, en Espagne ou ailleurs, c’est évidemment la population espagnole qui va casquer pour les banquiers qui ont fait mumuse avec leurs économies. Ça n’empêche pas Bankia de continuer d’expulser de leurs logements celles et ceux qui ne sont plus en mesure de rembourser leurs emprunts, et qui eux n’ont pas une BCE pour les tirer d’affaire.
La panique s’accentue dans les milieux financiers espagnols, et le gouverneur de la Banque d’Espagne a décidé de quitter ses fonctions un mois plus tôt que prévu, refroidissant encore plus les ardeurs des investisseurs qui se débarrassent comme ils peuvent de leurs titres espagnols. La dette s’ajoute à la dette, et le gouvernement Rajoy n’en finit pas de revoir les chiffres du déficit à la hausse. Et ce n’est évidemment pas fini. Bankia ouvre la marche ; derrière se profilent les déficits des autres banques et des régions. Selon le Financial Times, certains économistes estiment qu’au final l’Espagne devra trouver entre 100 et 150 milliards d’euros, d’où un sentiment de vertige du gouvernement espagnol qui veut entériner la décision d’émettre des « hispanobons », emprunts obligatoires communs pour les régions autonomes, avec garantie de l’État central. Il s’agit de mutualiser les dettes des régions les plus endettées afin de leur faire bénéficier du crédit accordé à la Catalogne (la Catalogne, également dirigée par un gouvernement de droite, se méfie de cette garantie du Trésor espagnol qui risque de lui coûter encore plus cher).
Et en ce qui nous concerne, comme le précise Le Figaro économie 1, ne perdons pas de vue que les banques françaises sont bien plus engagées en Espagne (132 milliards) qu’en Grèce (45 milliards). La marmite politicienne est au bord de l’explosion. Le Premier ministre Mariano Rajoy en est conscient, lui qui lors de sa dernière conférence de presse – qui n’a duré que quarante minutes –, n’a condescendu à répondre qu’à vingt questions (une par journaliste présent). Son art de garder le silence et de noyer le poisson lui a permis de ne pas répondre à la seule question qui importe actuellement en Espagne : « Qui va payer ou assumer ses responsabilités dans le scandale de Bankia ? » 2 Rajoy ne semble pas vouloir obliger les dirigeants de Bankia à s’expliquer devant le Congrès. Si comparutions il y a, ce serait à huis clos, car « une enquête publique ne ferait que détériorer l’image du système financier espagnol » 3. Le Parti socialiste ouvrier espagnol, par la voix de son secrétaire général Rubalcaba, s’interroge innocemment : « En deux semaines, nous sommes passés d’une aide publique à Bankia de 4,5 milliards à 23 milliards. Mais que se passe-t-il donc ici ? »
Il semble toutefois que les socialistes ne soient pas pressés d’avoir la réponse, car pour le moment eux non plus, comme leurs collègues de droite, ne demandent pas d’enquête parlementaire, qui pourrait avoir des conséquences imprévues, y compris pour eux : pendant des années, des représentants des partis politiques de droite, de gauche et des syndicats institutionnels ont siégé côte à côte dans les conseils d’administration des caisses d’épargne. La question n’est donc pas : qui sont les coupables, mais où va-t-on trouver les 23 milliards pour renflouer Bankia ? Je vous laisse deviner la réponse en vous mettant sur la voie : il y a un mois le gouvernement, avec l’appui de l’opposition socialiste, a nationalisé partiellement Bankia. Partiellement, ça veut dire que l’État va prendre en charge la partie pourrie de Bankia suivant le principe cher au libéralisme : on nationalise les pertes et on privatise les profits.
Donc au final, l’État, c’est-à-dire la population espagnole, mettra la main à la poche pour renflouer Bankia (et les autres établissements bancaires qui attendent avant de déclarer leurs pertes véritables). Conséquence : encore plus de plans d’austérité, de coupes budgétaires dans les services publics…
C’est dans ce climat délétère que nos camarades anarcho-syndicalistes de la CNT, de la CGT et de SO 4 organisent deux semaines d’actions et rassemblements servant de préparation à la manifestation confédérale du 16 juin à Barcelone, puis plus tard à l’organisation d’une nouvelle grève générale à l’échelon national.







1. Le Figaro économie du 30 mai 2 012.
2. El País du 29 mai 2 012.
3. Idem.
4. Confédération nationale du travail, Confédération générale du travail, et Solidarité ouvrière.