Sétif, 8 mai 1945 : un crime colonialiste !

mis en ligne le 17 mai 2012
1673SetifLe 8 mai 1945, alors que les Alliés s’apprêtent à recevoir la capitulation de l’Allemagne nazie, des unités de l’armée française présentes en Algérie, associées à des colons vengeurs, sèment la terreur dans le Constantinois. Il n’est pas possible de relater cet événement sans évoquer rapidement les vingt années précédentes qui avaient vues la naissance du mouvement indépendantiste algérien.

La tiédeur anticolonialiste des communistes français
C’est à Paris, en 1926, qu’avait été constituée l’Étoile nord-africaine, inspirée par Messali Hadj. Il convient de constater immédiatement que ce mouvement sera rapidement contesté par le petit Parti communiste algérien (PCA), qui prétend alors représenter le prolétériat du pays. En janvier 1937, c’est le gouvernement de Front populaire, présidé par Léon Blum, qui va décréter la dissolution de l’Étoile nord-africaine, prétextant qu’il s’agit d’un mouvement « séparatiste ». Les communistes français, qui viennent de redécouvrir les vertus du drapeau tricolore et de La Marseillaise, et soutiennent le gouvernement, ne s’opposent pas à cette décision.
La réplique vient, dès le mois de mars 1937, avec la naissance du Parti du peuple algérien (PPA), présidé par Messali Hadj qui, en juin de cette même année, décide de transférer son siège à Alger. Dès lors, les dirigeants du PPA ne cesseront de subir une lourde répression. En août 1937, la plupart des dirigeants sont arrêtés pour incitation à des « actes de désordres contre la souveraineté de l’État ». Messali Hadj, condamné à deux ans de prison, est privé de ses droits civils, civiques et politiques. Ce n’est que le début d’une longue traque. En décembre 1938, les cadres du PPA comparaissent devant le tribunal correctionnel d’Alger. À la fin du mois de juillet 1939, alors que la menace de guerre se précise, le PPA est interdit par le gouvernement présidé par Édouard Daladier. Si Messali est libéré le 27 août 1939, il est de nouveau arrêté le 4 octobre suivant, avec 27 dirigeants du PPA, tandis que de nombreux militants vont se retrouver dans des camps d’internement. En avril 1943, quelques mois après le débarquement américain en Algérie, tous seront simplement assignés à résidence, mais toujours surveillés de près.

Un 1er mai déjà sanglant !
En avril 1945, alors que se met en place, discrètement, un projet d’insurrection, Messali est transféré à El Goléa, puis assigné à résidence à Brazaville. Comme si son éloignement pouvait être de nature à freiner la volonté de lutte de ses compagnons. C’est dans ces circonstances que la véritable confrontation va commencer le 1er mai 1945, sur fond d’exigence de la libération de Messali. La police tire sur les rassemblements populaires. Il y aura 3 morts à Alger et 1 à Oran. En cette circonstance, la CGT locale et le Parti communiste algérien vont donner toute la mesure de leur capacité de nuisance. Ils accusent le PPA de menées antinationales, et leurs miltants distribuent un tract d’une violence inouïe, titré : « À bas les provocateurs hitlériens ! », avec une argumentation étonnante : « La provocation vient du PPA qui prend ses ordres à Berlin, chez Hitler. Il massacre et torture, sans discrimination, les vaillants soldats de l’armée française, européens et musulmans… Le FFA, c’est le parti qui applique en Algérie les mots d’ordre que donnent les hitlériens à la radio nazie ! » 1 Peu importe que l’Allemagne de Hitler soit à l’agonie, il est toujours possible de tirer le meilleur parti d’un mensonge, aussi grossier soit-il ! C’est ainsi qu’à Paris, le Parti communiste, qui n’est jamais à court d’invectives, reprend les éléments de ce tract et, dans les couloir de l’assemblée consultative, Jacques Duclos ne manque pas de vilipender les mauvais patriotes que sont le PPA et ses militants.
Le décor est déjà planté. Un front unique, semblable à celui qui s’est mis en place dans la France libérée, s’apprête à réprimer durement ceux qui ne veulent pas marcher droit, refusent en fait une forme d’assimilation. Peu importe que les jeunes algériens recrutés par l’armée française ont payé de leur sang la libération du pays des droits de l’homme. On va leur faire comprendre qu’ils ne sont que des sujets, comme l’exprime parfaitement Mohammed Harbi : « La politique d’union nationale, en France, ferme la voie à la prise en considération de la question nationale, en Algérie, et cela au profit de la colonisation ! » 2

La soldatesque à l’ouvrage
Le 8 mai 1945, il n’y a pas de mot d’ordre d’insurrection, comme le prétendront la police et les chefs militaires. Le PPA a simplement prévu des manifestations populaires avec comme slogans « Libérez Messali » et « Vive l’Algérie indépendante ! ». Il n’en reste pas moins que, dans certaines régions, des militants ont reçu la directive de s’armer afin de riposter en cas d’attaque de la police. En général, les défilés conserveront un caractère pacifique. Pourtant, à Sétif et à Guelma, la police interviendra avec la plus grande brutalité. C’est ainsi que la direction du PPA prendra la décision d’éélargir l’insurrection à l’ensemble de l’Algérie.
Les 9 et 10 mai, une répression féroce est déclenchée sous la direction du général Duval. Comme le souligne Mohammed Harbi, l’armée se comporte avec la plus grande sauvagerie, « renouant avec des procédés qui ont caractérisé la conquête du pays » 3. Plus d’un siècle est passé mais le souvenir des exactions des soldats de Bugeaud n’est pas oublié. Depuis la France, le gouvernement provisoire de la République française (GPRF), avec à sa tête le général de Gaulle, soutenu par le Parti communiste, décide de ne pas faire dans le détail. En quelques jours, il y aura 8 000 morts, selon les militaires, 45 000 si l’on en croit les chiffres avancés par les responsables du PPA. Il y aurait eu 103 tués et 110 blessés parmi les Européens. Rapidement, 4 160 supposés militants sont arrêtés, dont 3 696 dans le Constantinois, 509 en Oranie et 309 pour la région d’Alger. Les tribunaux d’exception mis en place vont prononcer 1 307 condamnations, dont 99 peines de mort et 66 aux travaux forcés à perpétuité 4.
Comme le PCF ne peut se départir de son soutien au général de Gaulle, L’Humanité n’a cesse de dénoncer les nationalistes algériens, et cela dans des termes qui ne peuvent que satisfaire les colons : « L’union est nécessaire pour arracher le masque à ceux qui trahissent les intérêts des populations algériennes et du peuple français. Musulmans ! la propagande du PPA c’est la provocation de l’ennemi : cassez partout ses provocateurs ! » À la suite, les communistes du PCA sonnent également la charge et dénoncent à leur tour les provocations « des agents du PPA, du PPF (de Doriot) et d’autres, camouflés dans des organisations qui se prétendent démocratiques. Cette coalition criminelle, après avoir tenté vainement de faire éclater des émeutes de la faim, a réussi à faire couler le sang. Le but recherché par cette organisation criminelle est de provoquer la guerre civile. » 5

L’idéologie stalinienne au secours des colonialistes
Pour les communistes algériens, téléguidés depuis Paris, il est nécessaire de « garantir l’ordre démocratique ». Ensuite, après avoir dénoncé « les chefs du PPA, tels Messali Hadj et les mouchards camouflés dans les organisations qui se prétendent nationalistes et qui maintenant réclament l’indépendance au moment où la France se libère des forces fascistes et marche vers une démocratie toujours plus large » 6. Toute la duplicité de l’idéologie stalinienne est ici exprimée en quelques mots. Dans le même temps, militaires et colons terrorisent les populations révoltées, tandis que d’authentiques militants communistes font le coup de feu en compagnie de la pire racaille colonialiste. Sans oublier les unités de la marine de guerre qui trouvent leur titre de gloire en canonnant les côtes du Constantinois. La répression va durer plusieurs mois, sourdement soutenue par la CGT et les partis de la gauche française, toujours proches d’un pouvoir issu de la résistance au nazisme, qui refuseront, en juillet 1945, de recevoir une délégation du PPA. On ne discute pas avec les adversaires de la patrie…
C’est seulement en mars 1946 que la Chambre des députés votera une loi d’amnistie, mais les principaux dirigeants du PPA resteront encore en prison car la République généreuse ne pardonne pas facilement à ses sujets déviants qui, à aucun moment, n’ont renoncé à la lutte. Il faudra attendre le 1er novembre 1954 pour que les Algériens entament une lutte de libération qui va durer près de huit ans…







1. Cité par Ahmed Mahsas, in Le Mouvement révolutionnaire en Algérie, Alger, 1990, page 205.
2. In Aux origines du FLN, de Mohammed Harbi, Christian Bourgeis éditeur, 1975, pages 21 ety 22.
3. Ibid, page 22.
4. Chiffres fournis par Mohamed Harbi, in op. cit., page 22.
5. L’Humanité, 12 mai 1945.
6. Liberté, quotidien du PCA, 17 mai 1945.