Occupation d’Oakland : Boots Riley raconte

mis en ligne le 22 mars 2012
1665OccupyOaklandBoots Riley a été engagé dans le mouvement Occupy Oakland dès ses débuts. Boots est un rappeur 1 venu à Paris pour participer au festival Sons d’hiver 2012. Les paroles de ses chansons s’appuient sur l’idée que « nous devons lutter pour avoir un contrôle direct sur notre vie et sur la société ».
En novembre 2010, pendant le mouvement et les grèves contre la réforme du système des retraites, Boots Riley (BR) faisait une tournée en France. Il a joué un soir à Brest et, le lendemain, il prenait le train pour Paris. Soudain, la gare de Brest fut envahie par une grande manifestation d’étudiants et d’ouvriers. Les trains ont été bloqués, et la discussion s’est engagée entre les voyageurs et les manifestants. BR se souvient d’une femme qui s’est mise à crier qu’elle voulait se rendre à son travail. Un jeune manifestant lui a expliqué que sans les luttes collectives du passé, elle aurait commencé à travailler dès l’âge de 12 ans… Un manifestant a reconnu BR pour avoir assisté à son concert :
« Tu as fait un bon concert hier soir mais maintenant, je regrette, nous ne pouvons pas te laisser aller jusqu’à Paris. »
BR a été impressionné par la conscience politique des gens, l’attitude de classe.
« Pourquoi ça n’existe pas aux États-Unis ? Pourquoi notre société est-elle endormie et passive ? »
Il a ensuite envoyé ses réflexions aux gens qu’il connaît sur Twitter. Puis, à la mi-septembre 2011, le mouvement Occupy Wall Street a démarré. BR s’est rendu à New York et à Zuccotti Park :
« C’était comme un spectacle ! Tous ces gens qui passaient des heures et des heures à discuter, dans un grand charivari, en se demandant ce qu’ils allaient faire des 7 000 dollars qu’ils avaient récoltés. »
Sa première impression a été assez négative.
« Je posais des questions et on me répondait, nous n’avons pas de réponses ! […] De retour à Oakland, il y avait déjà plusieurs groupes qui se réunissaient et qui discutaient. Certains de mes amis y participaient. » […]
Les premières discussions ont éclaté au sein d’Occupy Oakland.
« Devons-nous manifester contre les brutalités policières ? Je faisais partie de ceux qui étaient contre. Nous pensions que cela ne pourrait qu’entraîner plus de brutalité. Par ailleurs, les gens des quartiers populaires n’étaient pas tellement concernés. Ils subissent des brutalités depuis des dizaines d’années. Pour eux ce n’était pas une nouveauté. Au lieu de cela, il fallait que nous fassions avancer le mouvement, le développions sans le focaliser sur cette question. »
L’idée d’un appel à la grève générale a alors commencé à faire des adeptes.
BR a commencé à réaliser que « le mouvement Occupy était un mouvement particulier. Un rassemblement de gens qui n’étaient pas forcément destinés à agir ensemble mais qui se retrouvent obligés de le faire ».
BR revint sur son idée du début et se mit à voir ce que ce mouvement avait d’unique, un mouvement auquel on ne peut pas appliquer les vieilles tactiques et les vieilles idées.
« Les choses ne fonctionnent plus comme dans les livres que nous lisions. Et si l’on agit comme dans les livres, on a du mal à se lier à ce mouvement. »
La raison pour laquelle il ne s’était pas intéressé au mouvement au début devint celle pour laquelle il s’y engagea à fond : « L’idée d’une organisation horizontale, égalitaire, est nouvelle, pour moi et pour beaucoup de gens. » […]
Aujourd’hui, une des questions qui se posent, c’est la nécessité ou non, pour le mouvement, de disposer d’un lieu. BR fait partie de ceux qui pensent qu’un lieu spécial n’est pas nécessairement une bonne idée.
« Le mouvement va s’y enfermer. Les gens extérieurs ne se sentiront pas concernés et ignoreront les occupants, et l’isolement sera encore pire. »
Mieux vaut rester dehors, dans les rues, sur les places et, avant tout, s’engager dans des actions concrètes, grâce auxquelles Occupy restera lié aux autres.
« Par exemple, réinstaller les gens dans les maisons dont ils viennent d’être expulsés ou s’associer aux ouvriers qui luttent. Certains insistent pour que nous ayons une sorte de centre social. » […]
Une dimension originale du mouvement Occupy est qu’il attire un tas de gens différents, d’expériences et d’âges divers. Cela va des anciens Black Panthers, et même des anciens communistes, aux vétérans, aux ouvriers, aux gens des rues et aux SDF.
« C’est curieux, à Oakland, les gens les plus engagés et intéressés par le mouvement sont les militants syndicaux, les ouvriers radicaux qui se sentent isolés sur leur lieu de travail, des militants de la gauche syndicale. » [..]
Selon BR, certains membres de Occupy sont braqués sur la question. Ils ont peur que les syndicats ne récupèrent le mouvement. Pour BR, c’est une erreur. Selon lui, les syndiqués radicaux peuvent faire entrer le mouvement dans les entreprises. […]
« Il faut d’abord aller parler avec la base. Même si ce n’est pas facile, la dernière chose que nous voulons, c’est une séparation entre le mouvement Occupy et le mouvement ouvrier. »
Certains se focalisent sur la question de la répression.
« Il y a cette idée que toute répression suscitera de la solidarité et favorisera le développement du mouvement. »
BR n’est pas d’accord. Quand les gens ont été gazés dans le campus de UC Davis (Californie), ils s’y étaient préparés. Ils pensaient que cela provoquerait une radicalisation de leurs soutiens.
« Le soutien, ce n’est pas la même chose que s’engager et être actif. Des milliers de gens nous soutiennent sur la toile et de l’extérieur… Mais cela ne représente pas un développement du mouvement. Dans ce cas précis (à UC Davis), le choix d’une action non violente me paraissait correct. Mais la répression ne provoque pas forcément plus d’activité. Les actions concrètes, au contraire, peuvent le faire. »
« Moi et d’autres, nous soutenons plutôt l’idée d’agir pour ramener les gens dans les habitations d’où ils ont été expulsés par les banques. »
BR relate une action récente où des occupants ont aidé une famille à récupérer sa maison. C’était à Oakland ouest, un grand quartier noir pauvre. Quand la famille s’est réinstallée, des voisins ont appelé la police pour les dénoncer. La police a demandé : « S’il y a des occupiers qui soutiennent la famille, nous n’intervenons pas. Qui est dans la maison ? » L’informateur a répondu : « La famille et des occupiers. » […] Les forces de police évitent les situations où l’on pourrait croire qu’elles sont du côté des banques.
Le mouvement Occupy a suscité une plus grande participation d’Afro-Américains que d’habitude. Mais, là aussi, il y a des problèmes et des contradictions. Par exemple, la décision de créer des assemblées générales dans les quartiers a été difficile à concrétiser à Oakland ouest. Un des membres actifs d’Occupy est un Afro-Américain, un type charismatique, qui vit dans ce quartier. Il se trouve qu’il est membre de The Nation of Islam. Non parce que c’est un fanatique, mais parce que cette organisation lui a fourni une structure qui l’aide à fonctionner. Certains, au sein d’Occupy, le critiquent. Comme ils le font pour les gens qui adhèrent à un syndicat. Ils ont peur d’être récupérés et cette attitude correcte les amène à se retrouver isolés. À propos de la communauté noire, il dit que certains membres d’Occupy ne comprennent pas la fierté qu’elles ressentent. Même s’ils vivent dans la misère, ils s’identifient à la ville dans laquelle ils vivent et ils sont très critiques face à des actes de destruction ou de pillage. Ce serait différent si c’était de leur fait, bien sûr.
« Là encore, c’est une situation qui ne correspond pas à ce qu’il y a dans les vieux livres ! Ce n’est pas facile à accepter. »
« Le mouvement Occupy est un mouvement qui nous donne l’occasion de faire des choses. C’est aussi un mouvement à l’échelle nationale, le premier depuis les mobilisations contre la guerre du Vietnam, créé à partie de la base. »
Pour BR, deux aspects sont essentiels.
« D’abord, nous avons réintroduit le mot “capitalisme” dans le vocabulaire social. Avant, il y avait tout ce baratin sur les pauvres, les riches et entre les deux, la soi-disant “classe moyenne ”. Maintenant, nous parlons de classes, de capitalisme, d’exploitation. C’est accepté et compris. Ensuite, même ceux qui sont contre Occupy sont obligés de prendre en considération que notre perspective anticapitaliste est une possibilité. Cela prendra du temps ; ce mouvement est comme une relation amoureuse. Il faut faire ce qu’il y a à faire pour qu’il dure le plus longtemps possible. C’est un mouvement qui a rassemblé les gens dans une société où l’isolement était considérable. » […]
Pour BR, le problème du sectarisme a été présent dès le début, mais cela s’aggrave maintenant que le mouvement s’affaiblit.
« Dans les collectifs, les gens deviennent agressifs. »
BR fait partie de ceux qui croient qu’« il est nécessaire de faire des compromis avec les gens avec qui on n’est pas d’accord. On doit pouvoir avoir des conceptions différentes et partager néanmoins la même tactique ».
Certains avancent l’idée de créer des groupes autonomes, selon les tendances, lesquels s’uniraient pour faire des choses ensemble. L’idée de pureté se renforce, surtout chez certains groupes anarchistes.
« Au lieu d’essayer de convaincre, ils essaient de séparer, de rejeter ceux qui ne pensent pas comme eux. »
La discussion est très vive à propos de la tactique et des attitudes du soi-disant « black bloc » Pour BR, leur tactique est aussi, d’une certaine façon, basée sur le passé.
« Il faut comprendre que les gens se sont réveillés. La question est peut-être qu’ils ne sont pas prêts à changer les choses. Il est probable que la majorité des gens ne sont même pas d’accord avec nous. D’autres ne nous soutiennent pas forcément à fond. Il faut leur laisser le temps de réfléchir et de se décider et, finalement, de changer, par eux-mêmes. Nos actions doivent prendre cela en considération. »

D’après Boots Riley





1. I will not take but for an answer, Ursus Minor, avec Boots Riley et Desdamona, Nato Records, Paris, 2010 (www.hopestreet.fr). Un disque dédié à Langston Hughes (1902-1967), poète communiste noir nord-américain et figure du mouvement Harlem Renaissance des années 1920.