« Liberté, égalité, fraternité, c’est juste un décor » : témoignages d’internés en CRA

mis en ligne le 23 février 2012
1661CRAParisLe Centre de rétention administrative (CRA) fait partie de l’outillage de la politique migratoire actuelle. Le pouvoir en place présente cette politique comme un résultat positif dans son bilan et en fait un argument électoral. Dans la novlangue officielle, on s’applique à distinguer le CRA des autres types de prisons. Mais il s’agit bien d’un lieu de privation de liberté. Des retenus (c’est l’appellation officielle pour ces prisonniers) des CRA de Vincennes témoignent. Harcèlement, violences, automutilations, suicides, bagarres, problèmes d’hygiène, de santé, nourriture insuffisante, sont leur lot quotidien. Avec la menace permanente de l’expulsion vers un pays qu’ils ont parfois quitté depuis plus de vingt ans. Et quand, par chance, ils sortent du CRA sans être expulsés, ils restent souvent à la merci d’une rafle ou d’un contrôle policier.

Extraits choisis de ces témoignages… 1
Au centre 2 de Vincennes : « Moi, j’suis en France depuis 74. J’me suis fait arrêter suite à un contrôle à moto, j’avais le permis et j’ai ma carte jusqu’à 2013, c’est le préfet qui veut m’expulser.
C’est la merde, c’est dégueulasse, tout est dégueulasse, les toilettes, il fait froid, y a des outrages, y a des détenus qui s’font taper. Ici ils tapent les gens et après ils nous disent de porter plainte à la Cimade, et ça sert à rien. Nous, quand on tape un policier tout de suite on est mis en garde à vue et ils nous font la misère. Tout le monde porte plainte. Les RG ils viennent, ils prennent la plainte et ils repartent. Y a des mecs qui se coupent à mort. Tu vois l’Aïd ? C’est comme ça ici. Quand ils veulent ramener quelqu’un au bled, ils font genre ils vous rassemblent parce que y a quelqu’un qui se sauve, qui s’est évadé, et après ils viennent attraper le mec : il l’attrapent ils le tapent ils le scotchent. C’est pour ça que y a des mecs y veulent se couper pour pas partir au bled.
Ils veulent me laisser 45 jours parce qu’y peuvent pas m’expulser, le consul y veut pas donner de laisser-passer. Les flics insultent les gens, ils les insultent de « sales Arabes »… »
Au centre 3 de Vincenne : « Mon casier judiciaire est vierge, j’ai jamais eu de problèmes avec la police, j’suis jamais allé dans un commissariat, et d’un coup j’me retrouve dans un centre avec des gens bizarres.
Ils m’ont arrêté dans un lieu… J’sais pas… J’suis parti voir un pote, j’savais pas qu’il habite dans un squat et d’un coup y a la police qui vient chez lui et ils m’ont trouvé là, dans un squat. En fait j’suis là parce que j’ai pas de papiers.
Ils donnent à manger… ou pas. Et dans la bouffe ils mettent des médicaments, je sais pas trop quoi. On mange mal. Moi quand j’mange, j’dors, toujours j’suis fatigué. Quand on mange ici on dort tout le temps… »
Au centre 3 de Vincennes : « On est traité ici comme des animaux d’élevage. On est réveillé le matin, on mange, mais pas tout le monde parce que y a des musulmans ici qui mangent pas le cochon. On tourne en rond ici parce que c’est comme une prison. On est enfermé toute la journée, et les seules sorties sont pour aller voir le juge. On est transporté comme des malfaiteurs, menottes aux poings dans le panier à salade, on est enfermé dans des cages On est vraiment traités comme des malfaiteurs, ce qui n’est pas le cas.
Actuellement y a un grand nombre de suicides, tous les jours y a une tentative de suicide, y a 5 minutes y en a un qu’a essayé de se pendre sur une grille. Y en a qui demandent des rasoirs pour se raser, ils cassent les lames, ils les avalent. Moi je suis arrivé y a une semaine, j’ai déjà vu deux personnes se mutiler, se couper les veines. Les gens ne dorment pas, y en a qu’on vient chercher de force la nuit pour les expulser. Vous entendez ? Y en a qui tapent sur les portes là. Ils passent la nuit éveillés parce qu’ils sont angoissés, du fait qu’on puisse les expulser. Dans la journée on est là, on tourne en rond. Y a rien à faire. Y a des bagarres, des tentatives de suicide. Y en a tous les jours, au moins une tentative par jour, sinon plus.
On fait des choses pour empêcher les expulsions, mais c’est plutôt par groupes. Par exemple, y a un grand nombre de Maghrébins, surtout des Tunisiens, qui sont venus après les événements en Tunisie. Eux ils sont très solidaires : quand quelqu’un veut se suicider, ils essayent de le raisonner. Les gens se révoltent contre le matériel, ils cassent tout ce qu’ils peuvent casser, les machines… La plupart des flics qui travaillent ici, si vous voyiez leurs gueules… Vous verriez que c’est des gens qui n’ont vraiment pas envie d’être ici. Les agents de police qu’on met ici c’est pour les punir. Y en a qu’en ont rien à foutre, y en a qui font leur travail. Ce qui est très important c’est que la majorité est d’origine étrangère, des Noirs ou des Arabes. Ils souffrent plus, parce qu’on leur ressemble. Ils osent même pas nous regarder dans les yeux.
On voit le médecin à l’arrivée pour voir si on n’a pas de problèmes de drogue ou d’alcoolisme. Le soir les infirmières passent distribuer des somnifères. Moi j’ai vu une infirmière mais pas de médecin. Ceux qui tentent de se suicider sérieusement, on les conduit voir un psychiatre.
Le vrai problème c’est la nourriture. La majorité des gens ici sont de confession musulmane, ils ne mangent pas la viande. En une semaine, y a eu qu’une fois du poisson, le reste du temps c’est de la viande. Ils se sont plaints mais ça change rien. Tout ça concourt à créer des conditions d’incarcération qui ne sont pas dites. On est enfermés, à leur merci, vous êtes en prison mais on vous dit que vous n’êtes pas en prison. Moi j’ai été arrêté sur un simple contrôle. J’ai pas pu renouveler ma carte de séjour car l’ambassade n’a pas fourni un papier à temps. Je me suis retrouvé avec une OQTF. C’est au moment où je faisais les démarches que j’ai été contrôlé. J’ai pas d’argent, je suis passé devant le juge avec un avocat commis d’office. Tu le vois 5 minutes avant, c’est une parodie de justice, les dés sont jetés ; le tribunal administratif aussi, je suis même pas passé 3 minutes devant le juge.
Je suis entré légalement en France, j’ai vécu et travaillé ici pendant vingt-six ans. Ils me mettent là et ils veulent m’embarquer, moi je n’irai pas, s’il le faut j’irai jusqu’au bout, s’il le faut je me tue. J’ai tout en France, qu’est-ce que j’irai faire là-bas après vingt-six ans. C’est difficile de s’organiser, on a rien en commun à part d’être enfermés. Y en a qui sont venus y a pas longtemps, ils viennent de pays où ça va pas, d’autres qui sont là suite à des délits, les cas sont vraiment différents. Pour que les gens se mettent ensemble il faut qu’ils aient les mêmes problèmes. Par exemple les Tunisiens, ils sont venus en bateau, ils ont traversé l’Italie, eux ils sont vraiment ensemble, ils sont solidaires, ils vivent les mêmes problèmes. Ces derniers temps, y a beaucoup d’expulsions de Tunisiens, y a eu comme un deal avec l’ambassade de Tunisie. Elle délivre des sauf-conduits, du coup on les oblige à partir. Ici quand vous devez partir, on affiche d’abord l’heure du vol le soir, avec le nom, le prénom. Généralement les gars n’opposent pas de résistance quand on vient les chercher. À l’aéroport, la première fois, vous pouvez refuser le vol en demandant à voir le commandant de bord. Mais quand ça se répète, ils vous attachent avec du scotch. Y en a qui réussissent à refuser plusieurs fois, ils sont jugés au pénal et vont en prison, entre trois et six mois en général, pour refus d’embarquement. Ils font un détour en prison puis ils reviennent ici pour être expulsés… Y en a qui passent quarante-cinq jours et qui sont libérés, soit parce qu’on n’a pas réussi à déterminer leur nationalité, soit parce qu’ils se mutilent, donc on les amène à l’hôpital et ensuite on les ramène ici et on leur trouve un autre vol, et ça se répète comme ça jusqu’à ce que les 45 jours soient terminés… »
Au centre 1 de Vincennes : « C’est la troisième fois que je suis en CRA. Vous pouvez pas m’aider ? Parce que y a pas d’aide, y a rien du tout à manger. Y a l’Assfam ici à place de la Cimade, ils font des recours pour les juges, ils t’aident pour le dossier pour le juge, mais ils font pas grand chose, à part ça c’est tout.
Deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ça arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. Moi, ça fait 21 ans que j’suis arrivé en France.
Y a des caméras partout, et on est surveillé de partout. J’avais une carte de dix ans, elle a expiré et puis ils m’ont arrêté pour contrôle de papiers… Ils m’ont emprisonné. J’ai demandé à la faire renouveler, ils ont pas voulu me la faire renouveler, comme t’as pas d’accès au droit et tout ça, ils ont pas voulu me donner de permission… »
Au centre 2 de Vincennes : « La douche c’est de l’eau froide. On souffre ici franchement. C’est très dur au niveau de l’hygiène. Chaque jour y a des tentatives de suicide. Dans le couloir des chambres, y a plein de sang.
Moi je me suis fais arrêter, contrôle de papiers. Ça fait longtemps que j’suis en France et pour la première fois ils m’ont saisi les empreintes, j’ai fait aucune connerie, et ils me ramènent directement ici en centre de rétention. Pourtant j’ai rien fait. Les gens qui étaient avec moi en garde à vue avant qu’ils me ramènent ici, ceux qui faisaient des vols, ils sont libérés. Moi, j’ai été jugé devant le tribunal administratif mais j’ai pas été libéré, j’ai un avocat mais il m’a dit c’est les ordres qui viennent de là haut. On est tous le même cas, c’est un problème de papiers. On dirait qu’y a pas de droits, on dirait que liberté, égalité, fraternité, c’est juste un décor, voilà, c’est juste un tableau, sinon y a rien, y a rien, y a rien…
J’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer. Il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever. J’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit: « On n’a pas ton traitement. » Alors je lui ai dit: « Tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » Il m’a rien répondu.
Pour résister aux expulsions, faut se couper avec une lame. Tout simplement, vraiment, j’ai pas imaginé que je trouve ça dans ce pays. J’ai pas imaginé ça du tout. J’ai été en Italie, j’ai été un peu partout, j’ai pas vu ça. On est pas en temps de guerre, mais ici c’est la guerre, c’est des trucs qui se passent à l’intérieur dans des coins perdus, fermés, en silence. Si je sors je dois quitter la France une fois pour toutes. On est là, pays des droits de l’homme et tout, voilà la réalité. C’est insupportable, insupportable. »

Jean, groupe de Rouen de la Fédération anarchiste





1. Source : Indymedia Paris.