Abolir la conscription : un pas vers l’émancipation

mis en ligne le 10 octobre 1991
Au début de l’année 1991, la guerre dite du « Golfe » nous a donné l’occasion d’assister au triste spectacle des « professionnels de l’information », nous bourrant le crâne à longueur des sondages bidons et de reportages sur la vie de nos « soldats partis là-bas défendre le « monde libre ».
Des chefs d’État avaient décidé que « les armes devaient parler » et tout fut mis en œuvre pour que les populations soutiennent de tout cœur l’effort de guerre : propagande tout azimut, préparation psychologique, conditionnement de l’opinion, censure, exaltation du patriotisme et du militarisme, anathèmes et insultes à l’encontre des opposants à la guerre.
Bref, les bonnes vielles recettes du bourrage de crâne ont fait merveille une fois de plus. La patrie est en danger ? Ses intérêts sont menacés ? Il faut la défendre à tout prix et sans rechigner ! Sinon, gare ! Voilà ce que les gouvernants, relayés servilement par des journalistes aux ordres, nous servent à chaque fois que les circonstances les poussent ou leur permettent de déclencher une bonne guerre, qui sera l’occasion d’essayer en grandeur nature les derniers gadgets militaires et de relancer les besoins, et donc les ventes de matériel.
Dans le meilleur des cas, des professionnels du crime vont s’étriper entre eux, mais la plupart du temps, il n’en restent pas là. Ils brûlent, ils pillent, ils violent, ils massacrent tout ce qui entrave la réalisation des nobles objectifs qu’on leur a fixés. Ceux qui gagnent sont décorés et fêtés en héros. Ceux qui perdent se font oublier ou passent leurs nerfs sur des adversaires plus faciles, le peuple révolté par exemple, surtout s’il n’a pas d’armes. Du déjà vu, trop souvent vu.
Mais qu’à cela ne tienne, on nous ressert toujours les mêmes discours, d’un ton grave et pathétique, pour nous exhorter à « faire bloc autour de la nation », et à nous unir, à taire nos différences pour soutenir « notre » armée.
Il est bon de s’interroger sur les raisons qui font que l’État s’attache à créer et à maintenir par tous les moyens un lien étroit entre l’armée et la nation. En France, c’est la révolution de 1789 qui est à l’origine de la création de l’État-nation moderne d’une part, et de la conscription (le recrutement forcé) telle que nous la connaissons encore aujourd’hui d’autre part.
La république naissante avait besoin de lever des troupes nombreuses et au moindre coût, pour combattre ses nombreux ennemis, et aussi de se donner une cohésion nationale afin d’être réellement « une et indivisible ». Après les levées en masse des premières années, il fallait mettre en place une législation qui permette de forcer les réfractaires, fort nombreux à l’époque, à se soumettre à l’obligation de servir la république. Ce sera la loi Jourdan, votée le 5 septembre 1798.
Depuis près de 200 ans tous les régimes, qui se sont succédés, ont utilisé ce système fort commode, la conscription frappant une part plus ou moins grande des jeunes citoyens pour des durées variables. Les gouvernements successifs auront ainsi toujours sous la main de quoi organiser des massacres à une échelle jamais connue jusqu’alors. Après l’écrasement de la Commune de Paris, la IIIe République, la république des Jules, va catéchiser les citoyens dans ses écoles et peaufiner l’endoctrinement dans ses casernes. Le résultat est connu : la grande boucherie de 14-18.
Les valeurs développées alors, patriotisme et militarisme, perdurent aujourd’hui. À gauche comme à droite, nos dirigeants s’évertuent à nous faire avaler que nous sommes tous dans le même bateau, que nous faisons tous partie d’une même communauté d’intérêts. Le Service militaire, aujourd’hui Service national, n’est rien d’autre qu’un instrument de cette propagande qui voudrait nous faire oublier que le-dit bateau est une vraie galère avec beaucoup de rameurs, qui triment dans la cale, et quelques privilégiés, qui bronzent sur le pont.
C’est bien de cela qu’il s’agit, en effet, pour sauvegarder ses propres intérêts et ceux de la classe dominante (qui ne sont assurément pas les nôtres), l’État doit asseoir sa légitimité sur le consensus autour de la Nation, de la Patrie.
Persuader physiquement les citoyens qu’État et peuple sont indissociables, que l’armée de l’État est la leur. Mieux, qu’ils sont cette armée. Voilà, la fonction essentielle du service national aujourd’hui. C’est une fonction exclusivement idéologique
L’écrasante majorité des appelés effectue son Service national sous sa forme militaire. Militairement parlant ce service n’a plus d’utilité. La guerre du Golfe en est une bonne illustration. Face à l’armée irakienne, les alliés n’ont pas eu besoin de conscrits. Ils ont aligné des bataillons de professionnels, de techniciens qualifiés, tous volontaires pour venir à bout d’un adversaire pourtant bien pourvu en hommes et en matériel. Nombre de militaires, de stratèges et de politologues de tous poils sont d’ailleurs convaincus qu’on peut se passer de la conscription et n’en font pas mystère. Il n’y guère plus que les socialistes, ces jacobins, pour s’accrocher désespérément au mythe des liens sacrés entre l’armée et la nation et défendre contre vents et marées cette institution moribonde. Ces chantres des sacro-saints droits de l’Homme poursuivent les réfractaires devant les tribunaux avec acharnement.
Les anarchistes, antimilitaristes par essence, ont toujours lutté contre l’armée, contre toutes les armées. En tant que tels, nous n’avons pas à choisir entre armée de conscription et armée de métier : ce débat n’est pas le nôtre, mais celui de l’État et de ceux qui le servent.
La conscription n’a jamais été un rempart contre le despotisme et le militarisme : les Espagnols, les Chiliens, les Chinois, les Russes, les Irakiens, les Kurdes et bien d’autres en savent quelque chose, leurs armées de conscrits ne leur ont pas fait de cadeaux.
Aucune armée n’a jamais défendu les opprimés, le militarisme et l’étatisme sont des fléaux qu’il faut combattre vigoureusement.
Exiger l’abolition de la conscription, c’est refuser de cautionner le militarisme barbare qui préside au destin de la planète. C’est refuser de voir gaspiller nos ressources matérielles et intellectuelles pour engraisser les marchands de canons.
C’est aussi refuser que l’on condamne, que l’on emprisonne des réfractaires dont le crime est précisément de refuser de se soumettre. Exiger l’abolition d’une corvée aux relents de féodalisme, c’est s’émanciper un peu plus de l’insupportable tutelle de l’État.
L’État, les États nous doivent tout, nous ne leur devons rien !
Rompons les rangs ! Exigeons l’abolition de la conscription !
À bas toutes les armées !

Jérôme Varquez (groupe Albert Camus de Toulouse)