Espagne : réchauffement politique

mis en ligne le 9 juin 2011
1639EspagneIndignez-vous !
Ça a débuté comme ça : le 15 mai à Madrid les réseaux internet-facebook-twitter appellent les habitants à « s'indigner » ensemble pour protester contre la précarité de la population et la corruption des politiciens. Ces réseaux vont prouver leur efficacité ; en quelques heures 50 000 personnes se regroupent Puerta del Sol pour dénoncer la situation économique dans laquelle ils se trouvent, ainsi que la corruption du personnel politique, tous partis confondus. Le soir venu 200 manifestants décident de rester dormir sur place. Les forces de l'ordre les éjectent sans ménagement le lendemain. Encore une fois internet prouve son efficacité: ce sont 2 000 personnes qui viennent s'installer pour une deuxième nuit. Le jour ce sont des dizaines de milliers qui viennent « camper », et interactivité oblige, les campements commencent à se propager dans toute l'Espagne (jusqu'à une centaine de villes).

Yes we camp !
Problème pour les partis politiques en général et le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) en particulier : le dimanche 22 mai doivent avoir lieu les élections municipales et régionales. Le gouvernement déclare que les campements devront disparaître avant le samedi 21, pour ne pas perturber le bon déroulement des élections. La réponse est catégorique : sur tous les campements apparaissent des affiches et des autocollants : « Ne votez pas », « Votez blanc », « Démocratie réelle, maintenant ». Devant l'incapacité de faire appliquer sa décision, le gouvernement recule et abandonne l'idée de faire évacuer les foules.

Qu'ils s'en aillent tous ! (les politiciens)

Il s'ensuivra une augmentation non négligeable de l'abstention et du vote blanc (900 000 voix « disparues ») dont le PSOE actuellement au pouvoir fera les frais : c'est une raclée historique (1 500 000 voix perdues). Mais pour les participants aux campements le combat est ailleurs : pas question de lâcher la rue en se contentant d'un avertissement aux politiques de tous bords. Ils décident en assemblée générale dans chaque ville la poursuite du mouvement.

Sans logement, sans travail, sans allocation, mais sans peur
Chacun(ne) y va de son affiche personnelle. Les places investies à Madrid, Cadix, Séville, Barcelone etc. se recouvrent de déclarations radicales, poétiques, parfois confuses de la part d'une jeunesse qui apprend la contestation et qui d'ailleurs se réfère explicitement au Mai 68 parisien (tendance Sorbonne) ; au hasard des déclarations : « Vous ne ferez pas taire la voix de nos rêves », « Lisez-pensez-agissez. Indignez-vous ! », « Pourquoi se taire puisque l'on naît en criant ? » À Cadix on peut lire sur les murs : « Occupe la rue », « La crise est leur excuse, l'indignation notre arme », « Indigne-toi, sors dans la rue et montre ce que tu vaux ». Même chose à Séville : « Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes », « Menteurs/voleurs/traîtres/fascistes/xénophobes/exploiteurs/corrompus : vous ne nous représentez pas ». Une remarque : ces campements baignent dans une non-violence affichée et revendiquée. Les seules brutalités sont le fait des forces policières à Madrid (le 16 mai) et à Barcelone (le 27 mai). Autre particularité, les manifestants disent venir de tous les horizons, gauche et droite, bien que sur les murs des villes les affiches déclarent la guerre au capitalisme et appellent à la révolution.
Les manifestants s'organisent en commissions thématiques : logistique, juridique, immigration, etc. Les réunions qui se tiennent généralement le matin, déterminent les tâches à effectuer : du nettoyage du lieu occupé jusqu'à l'information à transmettre dans les quartiers et à en ramener les réactions de ses habitants. Ceux-ci d'une manière générale approuvent ou comprennent la démarche de ces jeunes (et moins jeunes d'ailleurs). La solidarité atteste de ce soutien de la population : les dons d'argent et surtout de nourriture affluent et permettent la distribution de repas gratuits.
Les élections passées, le mouvement continue, prouvant ainsi qu'il ne s'agissait pas que d'un simple moyen de pression, mais d'une remise en cause d'un système à bout de souffle, qui n'a rien à offrir à une génération qui s'enfonce dans la précarité. En peu de temps on est passé de la génération « Milleuroïste » à celle qui ne touche plus que 500/600 euros par mois (pour ceux qui ont un travail !).
Mêmes problèmes, même mouvement : Barcelone est toujours aussi rebelle. La place de Catalogne est envahie par les tentes et les matelas (y compris installés dans les arbres !)

Je ne suis pas contre le système, c'est le système qui est contre moi

Mais le 27 mai, Felip Puig, conceller ( c'est-à-dire ministre) de l'Intérieur de la Generalitat, ordonne l'évacuation du campement. Motif ? Nous sommes à la veille de la finale de coupe d'Europe de football devant opposer Barcelone à Manchester. Il faut donc nettoyer la place en prévision des festivités qui ne manqueront pas d'avoir lieu. Nettoyage il y a bien eu : les mossos d'escuadra (CRS catalans) dégagent les manifestants à coups de matraque. Résultat : 121 blessés dont une trentaine de flics (malgré le pacifisme proclamé des manifestants qui n'auront fait que se défendre). La place est ainsi évacuée, mais vers 13 h 00, les « indignés » accourus par milliers la réinvestissent. Les forces de l'ordre (environ 350) sont surprises et un peu dépassées et doivent se retirer précipitamment, remontant dans leurs cars et se dégageant au moyen de tirs de balles en caoutchouc. Les cris et les injures fusent, principalement les « hijos de puta » (fils de pute) ce qui fera réagir la commission féministe par le biais de la nouvelle affiche suivante : « Nous les putes, nous insistons : ni les politiciens ni les mossos (flics catalans) ne sont nos fils ! Assez d'insultes sexistes ! »
Les manifestants réinstallent le campement. L'espace est de nouveau autogéré, les stands s'accumulent : bibliothèque populaire, garderie, distribution des repas, atelier art graphique, santé, éducation, culture, logement, immigration, féminisme, logistique, juridique, etc.
Pour dénoncer le comportement des autorités, une nouvelle affiche est apposée, qui reproduit l'article 21 de la Constitution:
1) « Le droit de réunion pacifique et sans armes est reconnu. L'exercice de ce droit ne nécessite pas d'autorisation préalable.
2) En cas de réunions dans des lieux de passage, ou de manifestations, les autorités devront être prévenues, et ne pourront les interdire que pour des raisons de trouble à l'ordre public présentant un danger pour les personnes. »
Coïncidence ?! Un grand rassemblement des travailleurs de la santé et du milieu hospitalier est prévue le même jour à 17 h 00 au pied de la colonne de Christophe Colomb. Les slogans sont virulents pour dénoncer les coupes budgétaires et les conditions de travail. Les discours se poursuivent, puis le rassemblement se transforme en manifestation qui remonte les ramblas pour rejoindre les « indignés ». L'arrivée place de Catalogne est euphorique, le slogan ultime est repris par tous : « Ici commence la révolution ! »
Les affiches s'ajoutent aux affiches : « Nous voulons tout », « Qui sème la misère récolte la colère », « Il n'y a pas assez de pain pour autant de chorizo 1 », « Excusez le dérangement, nous sommes en train de réfléchir pour construire quelque chose de mieux ».
Les débats sont ininterrompus. Les tours de parole notés et respectés, les interventions parfois contradictoires, parfois vives, mais chacun respecte la parole de l'autre.
Après la matinée consacrée à la répartition des tâches, le programme est le suivant :
12 h 00 : rencontres des délégués de quartiers ;
19 h 00 : rassemblement des commissions de travail ;
20 h 00 : débat ;
21 h 00 : casserolade ;
22 h 00 : assemblée générale.
Au milieu du campement, anonyme parmi les anonymes on aperçoit Paco Ibañez. Pour faire monter l'ambiance, si besoin est, le lendemain la finale de football voit la victoire du Barça, et c'est toute une foule portant le maillot blaugrana qui envahit les Ramblas, et dont une partie rejoint le campement.
Dimanche 30, Barcelone a du mal à se réveiller mais le campement est toujours là et la nouvelle circule : ce soir Paco Ibañez donnera un concert de soutien aux « indignés ». Et effectivement le concert gratos a lieu : sono pourrie mais concert merveilleux, émouvant, ambiance survoltée.

Où cela nous mène-t-il ?
Lorsqu'on écoute les débats, qu'on interroge les manifestants, on peut trouver les propos quelque peu confus, mais après tout le Mai 68 français l'était aussi. Tous ces « indignés » ne savent pas forcément ce qu'ils veulent, mais ils savent très bien ce qu'il ne veulent plus : être représentés et dirigés par des politiciens. Leur programme est un mélange de revendications réformistes et d'aspirations révolutionnaires. En vrac et au hasard : amélioration de la santé et de l'éducation publiques, droit au logement, abrogation des lois discriminatoires, changement de la loi électorale, défense des immigrés, fin de la corruption, sanctions contre les banques responsables de la crise, abrogation des emprunts contractés, récupération des entreprises publiques ayant été privatisées, séparation réelle de l'Église et de l'État, séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, fermeture des centrales nucléaires et des usines d'armement, récupération de la mémoire historique (Guerre civile espagnole 36/39), transparence des comptes et financements des partis politiques...
Bref, vaste programme comme disait l'autre !
Et comme le remarque un vieux camarade anarchiste : ils sont jeunes, mais ils apprennent vite car ils sont frais dans leur tête.
La grande majorité des textes et des idées est assurément libertaire, on peut également voir affichés des extraits entiers de La Société du spectacle du situationniste Debord. Et l'on peut constater que personne ne se réclame d'un parti ni même d'un syndicat ; pas de badges ni de drapeaux, un point commun au départ : le Indignez-vous! de Stéphane Hessel.
Alors quid de la forme organisationnelle ? Pour l'instant elle est uniquement horizontale ; les mots Partis, Syndicats, Organisations sont bannis. En revhanche, ce qui s'est mis en place tout de suite, ce sont les relations campements/assemblées de quartiers. Le 4 juin devait se tenir place de Catalogne la rencontre des assemblées et des campements pour partager les expériences et se coordonner. Pour le moment 14 assemblées de quartiers fonctionnent à Barcelone, et là où il n'y en a pas encore, des relais transmettent les informations des campements vers les quartiers, et des quartiers vers les campements. Ces assemblées de quartiers (ou de voisins) fonctionnent de façon on ne peut plus fédérative. Quant au campement de Barcelone, avec ses 20 commissions et 17 sous-commissions, il a mis en pratique l'autogestion de l'espace occupé, sans attendre quoique ce soit « d'en haut ».
Quant ce mouvement connaîtra des difficultés (et il y en aura : à Madrid des négociations sont entamées pour évacuer une partie de la Puerta del Sol), la structure des associations de quartiers restera (elle existait déjà). Ce que tous ces yeux ont vu, tout ce que ces indignés ont vécu ne s'effacera pas des mémoires, et comme le proclame une de leurs affiches les plus politique et poétique à la fois : « Si no nos dejaís soñar / No os dejaremos dormir » (« Si vous ne nous laissez pas rêver / Nous ne vous laisserons pas dormir »).




1. Jeu de mot avec chorizo, sorte de saucisse, est le mot argotique qui désigne une fripouille ou un voleur.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


emma b.

le 11 juin 2011
Ce qui reste de pouvoir politique doit être mis sous tutelle, avant qu'ils ne rendent des comptes sur ces 10 dernières années de gestion néo-libérale qui ont conduit à la faillitte les états et transférés aux multinationales le pouvoir réel, aux USA et en France, où se met en place un nouvel empire militaro-industriel avec un pantin ou 2 pantins Caméron-Sarkozy-Juppé;

il faut de nouveaux médias indépendants, qui rendent compte des vrais problèmes des gens.

Comment se fait-il que les USA sont en quasi faillitte et les multinationales banquiers ( les 8 familles régnantes Rockefeller -Rotchild- Goldman etc ) -pétroliers-industries d'armement si puissantes ?

Videopunk

le 12 juin 2011
Ouai euh...
J'ai des doutes sur le mouvements des indignés. Tout simplement idéologiquement. Qu'ils se veuillent apolitiques ou pas, il sont ;
- Pour la république "juqu'à ce qu'on trouve mieux" (moi j'ai trouvé)
- Réformistes

Moi ça me bloques. xD

emma b.

le 12 juin 2011
Les italiens qui ont réussi à structurer leur mouvement depuis les grandes manifestations qui ont eu lieu en Italie parlent de ces manifestations en disant que c'est une révolution 4 étoiles.

j'ai parcouru le manifeste des infignés et je n'y vois qu'un catalogue de bonnes intentions et de bons sentiments, alors qu'il faut mettre à bas le modèle économique mis en place, à savoir agriculture intensive qui occupe 1/5 du territoire dans le sud de l'Espagne et qui concurrence toutes les agricultures européennes avec une main d'oeuvre dont les conditions de travail sont inadmissibles et les salaires sont extrêmement bas et qui épuisent la terre, et les ressources en eau et in tente d'imposer un modéle semblable en faisant venir de la main d'oeuvre des pays de l'Est ( 500 000) au Portugal et de démanteler tout le modèle social, puisque 20% des gens dans le privé sont payés par ce qu'on appelle des "reçus verts" c'est à dire sans charges siociales et impôts, donc d'une extrême précarité pour le travailleur.