À propos d’un anniversaire : de la chasse active aux Juifs à la traque aux sans-papiers

mis en ligne le 12 mai 2011
1635JhanoIl n’est pas possible d’évoquer les années noires de l’occupation nazie, et du régime de Vichy, sans rappeler les mauvaises manières policières de l’immédiat avant-guerre, tout comme celles d’un présent pour le moins inquiétant. En décembre 1938, alors que la République espagnole était à l’agonie, un ministre de l’Intérieur de la IIIe République, Albert Sarrault, martelait : « Il faut purger la France de la tourbe étrangère ! ». En mars 2011, un autre ministre de l’Intérieur de la République, Claude Guéant, affirmait tranquillement que, « suite à une immigration mal contrôlée, les Français ne se sentent plus chez eux ! ». Dans l’un et l’autre cas, le rejet de l’étranger avait pour volonté de fédérer les haines et les rancœurs face à une situation économique et sociale de plus en plus préoccupante.

Le régime de Vichy comme modèle ?

Entre ces deux périodes, il y a eu cette horreur qui ne peut être comparée à aucune autre. Il n’est pas inutile de noter que les premières lois xénophobes et racistes, édictées par le pouvoir de Vichy, dès le mois de juillet 1940, n’avaient pas autrement ému ce qu’il est convenu de désigner comme la « France profonde ». Les responsables de la défaite ne pouvaient être que ces étrangers qui encombraient la France depuis de trop longues années, et c’était une excellente initiative de tenter de s’en débarrasser. Bon vent à ces métèques qui n’avaient pas été invités, et pouvaient retourner d’où ils venaient. Faute de quoi il était possible de les mettre à l’ombre, pour la plus grande tranquillité des Français de bonne origine.
Très rapidement, en septembre 1940, il y avait eu cette loi sur « les étrangers en surnombre dans l’économie française », qui paraissait naturelle à ceux qui adoraient Pétain, sauveur de la patrie en déroute. Dans le même temps, la suspicion était jetée sur les enfants d’étrangers qui ne pouvaient plus postuler aux emplois de la fonction publique. Viendra ensuite une mesure de salubrité publique ; la dénaturalisation des Juifs d’Algérie, désormais réduits au statut de l’indigénat.
En zone occupée, comme si elles avaient été orchestrées, des lois françaises, depuis Vichy, et des ordonnances nazies, promulguées à Paris, avaient désormais les Juifs pour cibles. Déclaration obligatoire de l’origine dans les commissariats de police, ce qui préludait au fichage et à l’apposition du cachet « juif » sur les cartes d’identité ou les permis de séjour. C’était le 29 septembre 1940. Quelques jours plus tard, le 3 octobre, allait suivre le statut des Juifs de France, avec de nombreux interdits professionnels. Viendront ensuite un certain nombre de mesures vexatoires : interdiction de posséder un poste de TSF (radio), de disposer du téléphone, précédant l’instauration d’un couvre-feu, entre 20 heures et 6 heures du matin. Ces mesures n’étonnant pas vraiment ceux qui n’étaient pas visés.

C’était il y a soixante-dix ans

Viendront bientôt les arrestations de masse, exclusivement à Paris où nos policiers, anciennement républicains, ne tarderont pas à s’illustrer. Le 14 mai 1941, près de 3 000 Juifs étrangers seront interpellés dans les commissariats où ils avaient été convoqués, « pour affaire vous concernant ». Il en ira de même les 20 et 21 août 1941 avec, après la rafle en vraie grandeur de près de 5 000 Juifs dans les 11e et 4e arrondissements de Paris, l’ouverture du camp de Drancy, dans la banlieue nord de Paris. Les victimes de cette rafle étant mises sous haute surveillance de la police et de la gendarmerie françaises. Cela ne devait pas émouvoir les foules, tandis que la presse de la collaboration se félicitait vivement de cette épuration ethnique devenue indispensable.
C’était il y a soixante-dix ans !
Bien sûr, une fois encore, il ne peut être question de faire quelque amalgame que ce soit avec la période présente, mais il y a quand même lieu de s’interroger sur l’existence, au pays des droits de l’homme et du feu droit d’asile, d’une trentaine de centres de rétention administrative. Dans ces lieux de non-droit sont odieusement « retenus » des hommes, des femmes, et même des enfants en bas âge, dont l’unique délit est d’être démunis de papiers d’identité. De ces centres, qui ressemblent à d’authentiques prisons, où l’on traite les parias comme des criminels de droit commun, ceux qui nous gouvernent se félicitent d’expulser environ 30 000 étrangers chaque année. Au risque de devoir insister, il n’y a évidemment pas de comparaison possible avec cette période où la France était soumise à la botte nazie, la soldatesque des miliciens et les partis fascistes triomphants. Il n’en reste pas moins que nous sommes censés vivre dans un pays démocratique où les libertés fondamentales ne seraient pas menacées. Pas de panique, braves gens. La République ne fait que se séparer de ces étrangers qui auraient mieux fait de rester chez eux.

De l’ignominie à l’horreur

Au fils des mois, la situation de ceux qui ont été mis au ban du pays ne fera que se détériorer, et les missions de nos policiers français deviendront de plus en plus précises. En juin 1942, la marginalisation des Juifs ne connaissant plus de limite, une ordonnance nazie décide qu’ils seront marqués, afin de pouvoir les distinguer parmi la population. À partir du 7 juin, il leur faudra, dès l’âge de 6 ans, être décorés de cette abominable étoile jaune qui leur sera délivrée par la police française. Suivra le 9 juillet 1942, l’interdiction de paraître dans de nombreux lieux publics ainsi décorés. La police française, chargée de faire respecter ces édits, y mettra un zèle digne de tous les éloges, y compris lorsque parmi ces interdits et obligations va figurer une dernière ignominie : dans le métro, les Juifs ne peuvent voyager que dans le wagon de queue. Tout comme nos policiers de 2011 veillent aux portillons du métro en espérant y « choper » un sans-papiers, ceux de 1942 ne dédaignent jamais d’interpeller les imprudents qui se seraient risqués à négliger la loi nazie.
En période troublée, les esprits le sont également. Il convient donc de rappeler que, tout au long de la mise en place de ces mesures répressives, l’Église catholique, à l’image de la grande masse des Français, n’émettra jamais la moindre protestation officielle. Pas plus lors de la promulgation du statut des Juifs, que de l’obligation qui leur était faite, en zone occupée, de porter l’étoile jaune. La réaction indignée de quelques rares prélats ne se fera entendre qu’après les rafles effectuées en zone non occupée, au cours de la seconde quinzaine d’août 1942. Comment s’étonner de ce long silence si l’on veut ignorer que l’Église catholique, à cette époque, jouait son rôle de police de l’ordre moral, sous l’égide du régime de Vichy qui accordait toute sa bienveillance à un enseignement libre où l’on ne cessait d’encenser cet ordre nouveau tout à la dévotion de l’Allemagne hitlérienne ?

La rafle du Vel’d’Hiv’ : un crime contre l’humanité !
Dans la zone occupée par les nazis, la police française tenait le haut du pavé. Les fonctionnaires d’autorité, qui arboraient fièrement la francisque de Pétain sur leur vareuse, veillaient avec l’attention de geôliers sur une population apeurée. Dans la région parisienne, des milliers de familles vivaient dans l’anxiété depuis les arrestations du printemps et de l’été 1941. Il y avait cette certitude que cela ne tarderait pas à recommencer. Les rumeurs constantes ne pouvaient qu’alimenter cette crainte. Déjà 10 000 hommes avaient été arrêtés, en 1941, et certains d’entre eux déportés, « pour le travail ».
La rafle du 16 juillet 1942, dite « rafle du Vel’d’Hiv’ », allait représenter une nouvelle étape de la barbarie raciste. Avec comme maîtres d’œuvre des policiers français, chargés cette fois non seulement de rafler des hommes mais également des femmes et des enfants en bas âge, des vieillards grabataires, des malades, et des même des aveugles. Tout était bon pour faire du chiffre. Les nazis n’avaient pas demandé que soient arrêtés les enfants, presque tous français alors que la rafle n’aurait dû concerner que des étrangers. Un mois plus tard, il faudra toute l’insistance du secrétaire général à la Police de Vichy, René Bousquet, pour que les services du SS Adolf Eichman finissent par accepter que les enfants soient déportés à leur tour, alors que leurs parents avaient déjà disparu dans l’enfer d’Auschwitz.
L’inhumanité de cette rafle, effectuée – comme celles de 1941, et comme le seront les rafles de l’automne 1942, de février 1943 – par les seuls policiers et gendarmes français, n’est plus à démontrer. Les témoignage ont été nombreux de cette brutalité, physique et morale, de nos forces de l’ordre qui ne se risqueront que très rarement à remettre en cause les consignes émanant de la Gestapo. Y ajoutant même suffisamment de zèle pour ne pas paraître contre-performants. Si, à cette époque, il y avait eu le moindre esprit de résistance dans la police française contre les tâches répressives qui lui était confiées, d’excellents témoins de moralité n’auraient pas manqué de nous le faire savoir.

Ni responsables, ni coupables !

La Libération venue, quelques rares policiers de haut rang, très actifs au sein des services de la Gestapo française ou à la Spac (police anticommuniste), seront rapidement jugés, et quelques-uns d’entre eux exécutés. (Peut-être pour que ces salauds n’aient pas le temps de « balancer » certains de leurs collègues tout aussi « mouillés » qu’ils avaient pu l’être eux-mêmes.) Il en ira différemment pour le corps policier dans son ensemble – même pour les plus impliqués parmi les plus actifs à tous les niveaux de l’institution policière, qui seront rapidement réintégrés après quelques années de purgatoire. Il ne faut pas oublier que René Bousquet, grand organisateur des rafles dans les deux zones, traduit devant la Haute cour de justice, sera finalement acquitté. Il en ira de même du commissaire Jean François, directeur de la police générale, et à ce titre responsable des camps d’internement, qui ne sera jamais inquiété.
Mieux, si l’on peut dire, le 14 octobre 1944, deux mois après la Libération de Paris, le général de Gaulle décorera de la fourragère rouge l’ensemble du corps de police parisien. C’est-à-dire, parmi ces policiers qui s’étaient illustrés à la 25e heure, le 19 août 1944 en prenant la préfecture de Police, ceux qui, sans défaillir, avaient participé aux rafles ordonnées par les nazis. Jusqu’alors coupables, ils n’étaient même plus responsables puisque le « libérateur de la patrie » leur rendait une honorabilité perdue. Comme il y a une morale à cette histoire répressive, les plus jeunes de ces défenseurs de l’ordre public, au terme d’une carrière bien remplie, se distingueront peut-être lors de la répression sanglante contre les Algériens de Paris, le 17 octobre 1961, ou même au plus fort du matraquage et du gazage des étudiants, en mai et juin 1968.
Il serait contre-productif de simplement se lamenter sans tirer de leçons d’une histoire dont on aimerait qu’elle ne puisse se reproduire. Au-delà d’Auschwitz et des camps d’extermination nazis, il faut bien constater que la tentation est toujours présente de marginaliser d’autres exclus et, dans le meilleur des cas, de les inciter à aller voir ailleurs. Là où les libertés fondamentales ne sont pas plus en péril qu’au pays des droits de l’homme.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Alain Michel

le 12 novembre 2013
Bonjour
j'ai beaucoup de respect pour Maurice rajsfus et en même temps, je continue à m'étonner depuis 35 ans de sa facilité, pour des raisons idéologiques, de trafiquer les faits historiques. Il y aurait de nombreux exemples dans ce texte, je n'en citerai que deux. Rajsfus présente de manière mêlée les mesures antisémites de Vichy et des nazis comme s'il s'agissait de la même chose. Mais il y a des différences qui exigent plus de subtilité pour l'historien. Ainsi, en ce qui concerne la mesure d'humiliation de confiscation des postes de TSF 1) elle n'est appliquée qu'en zone nord car c'est une mesure allemande, 2) Vichy fera plusieurs protestations par le biais de la commission d'armistice contre cette saisie. Cela montre que l'on parle d'une époque complexe car ce même Vichy participe en même temps à la spoliation des entreprises juives! Le terme "fasciste" est un terme commode car il évite de se poser les vrais questions. Autre point : ce ne sont pas les autorités françaises qui ont demandé la déportation ds enfants de zone nord de la rafle de juillet 1942. Léon Poliakov, qu'on ne peut suspecter de "fascisme" l'écrivait déjà en 1989. Laval n'avait posé la question que pour les familles de juifs apatrides de zone sud. C'est Dannecker qui le premier le 10 juillet 1942, avant la rafle, demande à ses responsables à Berlin d'accepter que l'on puisse déporter les enfants de zone nord qui seront arrêtés lors de la rafle. L'histoire est complexe car les êtres humains sont des êtres complexes, et si nous voulons vraiment tirer des leçons de l'histoire, il faut arrêter de simplifier et de mépriser les faits lorsqu'ils ne nous arrangent pas!