Athènes, ligne de front

mis en ligne le 27 novembre 1985
Dimanche 17 novembre 1985... XIIIe anniversaire du soulèvement de la société grecque contre la dictature des colonels. L’École polytechnique, située en plein centre d’Athènes, redevient, comme chaque année, lieu de « culte », où tous les partis politiques, de la droite à la gauche, le gouvernement et même - quelle sensibilité - la police grecque récemment réorganisée, viennent saluer le « mouvement national pour la démocratie ».
Le PASOK, parti socialiste au gouvernement, fier de son image honorable, commémore le niveau élevé de conscience des étudiants patriotes (sic) qui ont donné leur sang pour sauver la démocratie. Mais il évite, à l’image de toute la gauche parlementaire, de se souvenir des ouvriers, « hooligans », activistes, droits-communs, hommes et femmes qui ont participé, en novembre 73, aux trois jours d’occupation de la faculté. Lieu où l’idée de démocratie directe, les graffitis « À bas l’Etat » ont motivé ces milliers de combattants. Moments où des banques ont été attaquées, des ministères saccagés, où les discours les plus radicaux sur cette société semi-capitaliste étaient prononcés ; et où personne ne souhaitait le remplacement de la dictature par une démocratie à l’occidentale. D’ailleurs, a-t-on jamais vu, et ce depuis le XVIIIe siècle, des individus se battre avec leurs mains nues contre l’armée et la police pour obtenir une démocratie parlementaire ?
Bien évidemment, tout ceci est bien loin du 17 novembre 1985. Mais, en plaquant sur les manifestants de 73 le cauchemar de la réalité actuelle, on essaie de se disculper devant l’histoire en rejetant la responsabilité de la situation d’aujourd’hui sur les révoltes du passé. Travestissement des événements et de la libre et honnête révolte des jeunes ouvriers, chômeurs, rockers, hors de la gauche, qui ont déclaré la guerre sociale spontanément en 1973. Sans dirigeants, sans éprouver le besoin d’en avoir.

Émeutes...
Ce 17 novembre, alors que quelques milliers d’anarchistes voulaient une fois de plus, non pas revendiquer, mais affirmer leur présence, déclarer leur volonté de continuer la lutte contre une société répressive et fondée sur l’exploitation, la guerre, l’évolution croissante du caractère coercitif interne du pouvoir, l’acceptation de la notion d’État comme nécessaire, comme le moindre des maux, le résultat sans fard est là : affrontements entre les anars, quelques vingtaines de gauchistes et le service d’ordre des jeunesse communistes du PCG (Parti communiste grec), parti orthodoxe et ennemi juré des anarchistes.
Gauchistes qui essaient, d’ailleurs, désespérément, de promouvoir leur clientélisme sur une base plus « activiste ». La chute de la bande des quatre est dure à digérer !
Vers 23 h 45, après que quelques cocktails molotovs furent lancés contre l’office de « South African Airways » et le Hilton, des policiers attirent l’attention (provocation ?) d’une bande de jeunes qui commence à les chasser de la place d’Exarchia.
Depuis mai dernier, toute apparition des flics sur la place et aux environs immédiats est source d’affrontements. L’occupation de la faculté de chimie avait d’ailleurs comme revendication l’arrêt immédiat de la présence permanente des véhicules anti-émeutes de la police sur la place.
Bagarres... molotovs... coups de feu tirés. Qui a commencé le premier ? Question inutile quand on sait que les policiers portent tous des armes chargées et depuis deux, trois ans, sont devenus des cinglés de la gâchette (il y a eu déjà un mort en mai dernier lors des affrontements, mort soigneusement dissimulée, période préélectorale oblige !)

L’assassinat
Un corps se trouve à côté d’un camion de la police qui commence à brûler. Il a 15 ans, il est écolier, membre d’un comité d’école, représentant de sa classe. Tous les journaux le présentent comme anarchiste. Ce qui sera démenti plus tard par ses parents et la presse pro-gouvernementale...
Michalis Kaltezas est touché à la tête par derrière. Une balle de calibre 38. Pas de déformation selon les spécialistes de la police. Preuve que le tir n’était pas accidentel, mais plutôt bien ajusté, presque à bout portant.

Contrôle/répression
Des affrontements acharnés font suite. La faculté de chimie est occupée. Occupation qui, lundi à 12 h, se termine avec l’arrestation sanglante d’une quarantaine de personnes par les forces spéciales d’intervention - formation nouvelle de la police, département militarisé -, mitraillette au poing, munies de masques antilacrymogènes, de gilets pare-balles.
Les occupants ont été pris à contre-pied par l’utilisation abondante de gaz lacrymogènes. Toutes les personnes arrêtées ont été brutalisées pendant ou après leur arrestation, sous les yeux des habitants des immeubles avoisinant le lieu.
Lundi après-midi, des manifestations de deux à trois mille personnes ont eu lieu. Il y a eu occupation de la faculté de l’Ecole polytechnique.
Le lendemain, après des affrontements qui ont eu lieu pendant la nuit, où l’on compte 70 blessés (chiffre officiel) dont 17 policiers, tout redevient calme puisque l’occupation cesse ; grâce aux efforts des gauchistes qui cherchent à exploiter, pour leur propre compte, les événements. Tentatives alimentées par des discussions du style : « Il faut définir l’identité politique du mouvement ».
Finalement, un comité anti-autoritaire de solidarité et d’information aux prisonniers s’est formé. Toute une série d’initiatives (protestation, soutien...) a déjà été entreprise.