Une nouvelle Algérie des colonels ?

mis en ligne le 1 juillet 1965
Après celle de 1958, allons-nous connaître une autre Algérie des colonels ? Samedi 19 juin, Alger s’est réveillé sous les chars de l’Armée nationale populaire, aux ordres du colonel Houari Boumedienne. Les premières informations ont fait apparaître que le coup de force était uniquement dirigé contre Ben Bella, les ministres restant en place. Depuis lors, quelques modifications sont intervenues dans la répartition des portefeuilles, mais l’important n’est pas là.
L’important c’est que l’Algérien ne fasse pas les frais, une fois de plus, des agissements d’une fraction quelconque.
Le coup de force ayant réussi, on a vu aussitôt bon nombre d’organisations du Front de Libération nationale faire acte d’allégeance envers le nouveau pouvoir. C’est ainsi que Le Peuple, dans son dernier numéro paru le lundi 21 juin, a pu publier une demi-page de télégrammes et messages de soutien au Conseil national de la Révolution. El Moudjahid a fait de même les jours suivants (son premier numéro ayant paru le mardi 22). En revanche, la presse algérienne n’a pas fait état des communiqués benbellistes émanant de l’Union nationale des Étudiants algériens et de l’Amicale des Algériens en France et en Europe et publiés par la presse française. Mais le F.L.N. représente-t-il TOUS les Algériens de l’intérieur ? Et l’Amicale représente-t-elle TOUS les Algériens de l’extérieur ? Il est permis d’en douter. D’une part, quelle organisation, si forte soit-elle, peut se vanter de représenter un peuple ? Bref, comment vont évoluer l’opportunisme des uns envers le pouvoir quel qu’il soit et l’inconditionnalité des autres envers un homme (en l’occurrence Ben Bella) ? C’est ce que l’avenir nous dira.
En attendant, l’Algérien, avec Ben Bella ou avec Boumedienne, se demande toujours de quoi demain sera fait. Les hommes changent, les problèmes demeurent.

Un homme ou la révolution ?
Laissons à la presse conformiste (bourgeoise ou progressiste) l’exclusivité des élucubrations gratuites et malsaines. Attachons-nous plutôt aux données telles qu’elles ressortent des éditoriaux inspirés par le Conseil de la Révolution.
« Samedi, l’histoire algérienne a baissé le rideau de la comédie et fermé le théâtre où jouait le comédien. Plus de jeu, plus de théâtre, voilà la signification de l’événement d’avant-hier. » (Le Peuple du 21 juin)
« Un homme a été écarté du pouvoir, a été retiré de la scène politique algérienne sur laquelle il avait régné trois ans en maître absolu. Au-dessus des hommes, sont les principes révolutionnaires qui, eux, demeurent et ont été solennellement réaffirmés dans la proclamation du Conseil de la Révolution. Le développement économique dans le cadre de l’autogestion, le renforcement de la démocratie par l’expansion communale dans tous les domaines, l’affermissement du pouvoir des producteurs auxquels revient la première place dans notre pays, ces grands principes, inscrits dans la Charte d’Alger, doivent rester et restent les tâches essentielles que les militants du Parti ont à accomplir pour l’édification du socialisme. Et le socialisme demeure, car il est l’option du peuple par lequel et pour lequel tout se fait. » (El Moudjahid du 22 juin)
« Répondant totalement au vœu du peuple tout entier et guidé uniquement par l’intérêt supérieur de la nation et par l’attachement sans réserve aux principes de la légalité révolutionnaire, des hommes ont pris la grave résolution de mettre fin au règne du bon plaisir et du pouvoir personnel. Nul ne peut en effet prétendre à lui seul incarner la nation tout entière. Nul ne peut prétendre accaparer à lui seul tous les pouvoirs et disposer à sa guise des destinées de la nation. Et nul ne peut nier qu’un seul homme prétendait à la fois être chef de l’État, président du Conseil, secrétaire général du Bureau politique, ministre de l’Intérieur, ministre des Finances, ministre de l’Information, ministre du Plan. Et, comme le déclare à juste titre la proclamation du Conseil de la Révolution, nul ne peut incarner seul, à la fois l’Algérie, la Révolution et le socialisme. » (El Moudjahid du 23 juin)
C’est à partir de là qu’il faut réfléchir et se demander objectivement si l’Algérien a quelque chose à perdre dans cette affaire.

Et après ?
Dès le premier jour, on a voulu savoir qui composait le Conseil de la Révolution. Le 25 juin, El Moudjahid a répondu dans son éditorial :
« Qui sont-ils, ces promoteurs d’un renouveau tant attendu ? Des êtres anonymes, militants de toujours, vainqueurs du colonialisme, les exécuteurs testamentaires de tous nos chouhadas. Des hommes à qui la destinée semble imposer l’impérieux devoir de veiller au respect des principes révolutionnaires des militants comme tant d’autres, soucieux de l’avenir, de traduire dans les faits les aspirations d’un peuple, définies patiemment pendant les durs moments de la guerre d’indépendance. »
Une solution ne serait-elle pas de dépasser le nationalisme ? Mais à quand la grande fédération maghrébine ? L’existence du très monarchique (je ne dis pas « monarchiste ») Maroc de Hassan II et de la néo-destourienne Tunisie de Bourguiba de chaque côté d’une Algérie mal assurée nous incite au pessimisme.

Jean-Louis Gérard