Le monstre dans le miroir

mis en ligne le 14 octobre 2010
Alors que sévissait le carnage à Mumbai (Bombay) [novembre 2008, NdR], nos chaînes de télévision nous informaient que nous regardions « le 11 septembre de l’Inde ». Alors, comme pour des acteurs dans le remake bollywoodien d’un vieux film de Hollywood, on attend de nous que nous jouions notre rôle, et que nous disions nos répliques, même si nous savons que tout, déjà, a été fait et dit.
Cependant que la tension montait dans la région, le sénateur américain John McCain a averti le Pakistan que si on n’y agissait pas avec célérité pour arrêter les « méchants », il savait de sources personnelles que l’Inde lancerait des frappes aériennes sur des « camps terroristes » au Pakistan et que Washington ne pourrait rien faire, parce que Mumbai, c’est le 11 septembre de l’Inde.
Mais novembre n’est pas septembre, 2008 n’est pas 2001, le Pakistan n’est pas l’Afghanistan et l’Inde n’est pas l’Amérique. Alors, il faudrait peut-être se réapproprier notre propre tragédie, et chercher dans les débris avec nos propres cerveaux et nos propres cœurs brisés, afin d’arriver à nos propres conclusions.
L’attaque contre Mumbai n’est que la plus récente d’une série d’attaques terroristes contre les villes indiennes cette année. Ahmedabad, Bangalore, Delhi, Guwahati, Jaïpur et Malagaon ont toutes été victimes d’attaques à la bombe qui ont tué et blessé des centaines de personnes ordinaires. Si la police ne s’est pas trompée, parmi les suspects arrêtés il n’y a que des citoyens indiens, tant hindous que musulmans. Ce qui indique, à l’évidence, que quelque chose ne va pas dans ce pays.
Si vous regardez la télévision, il se pourrait que vous ne sachiez pas que, à Mumbai aussi, des gens ordinaires sont morts. Ils ont été abattus dans une gare très fréquentée et dans un hôpital public. Les terroristes n’ont pas choisi entre riches et pauvres. Ils ont tué d’un côté comme de l’autre avec un égal sang-froid.
Toutefois, les médias indiens ont été fascinés par la marée montante de l’horreur qui a débordé les clinquantes barricades de « l’Inde brillante », pour répandre sa puanteur dans le marbre des lobbies et le cristal des salles de bal de deux hôtels incroyablement luxueux, ainsi que d’un petit centre juif. On nous dit que l’un de ces hôtels est un symbole de Mumbai. Absolument exact. C’est un symbole de l’injustice facile, obscène que les Indiens ordinaires supportent chaque jour. En un jour où les journaux sont emplis d’émouvantes nécrologies signées par des célébrités, au sujet des chambres d’hôtel dans lesquelles ils ont dormi, des restaurants gastronomiques qu’ils aimaient et du personnel qui les servait, en ce jour donc, un petit encadré en haut à gauche des pages intérieures d’un journal national disait « Hungry, Kya ? » (« Vous avez faim, non ? »). Après quoi, avec les meilleures intentions du monde, je n’en doute pas, le journal rappelait que, sur l’échelle internationale de la faim, l’Inde se trouve au-dessous du Soudan et de la Somalie.
Mais évidemment, ce n’est pas cette guerre-ci. Celle-là exerce toujours ses ravages dans les quartiers des intouchables, les bastis Dali, de nos villages et dans les bidonvilles de nos gigantesques villes. Cette guerre-là n’est pas sur nos écrans de télévision. Pas encore.
Alors, peut-être que, comme tout le monde, il va falloir que nous nous occupions de celle qui s’y trouve.
Il y a une faille brutale, sans pitié, qui court le long du discours contemporain sur le terrorisme. Il y a ceux – A – qui voient le terrorisme, en particulier le terrorisme islamiste, comme un fléau haineux, fou, qui tourne sur lui-même, selon sa propre orbite, sans aucun lien avec le monde qui l’entoure, sans aucun lien avec l’histoire, la géographie, l’économie. Ils disent qu’essayer de mettre le terrorisme dans un contexte politique, ou simplement essayer de le comprendre, équivaut à le justifier et constitue un crime en soi.
D’autres – B – pensent que, quoique rien ne puisse ni excuser ni même justifier le terrorisme, celui-ci existe cependant en un lieu précis, un temps précis, un contexte politique précis ; et que refuser de voir ceci ne peut qu’aggraver le problème et mettre en danger de plus en plus de gens. Ce qui constitue un crime en soi.
Les déclarations de Hafiz Saeed, qui a fondé le Lashkar-e-Taiba (L’armée des purs) en 1990, et qui appartient à la tradition dure de l’islam salafiste, renforcent certainement le point de vue A. Hafiz Saeed approuve les kamikazes à la bombe, hait les juifs et les chiites, la démocratie, et pense que le jihad devrait être mené jusqu’à ce que l’islam, son islam, règne sur le monde.
Mais où A rangerait-il les déclarations de Babu Bajrangi [un hindou. NdT] d’Ahmedabad, en Inde, qui se dit démocrate et pas terroriste ? Il a été l’un des hommes-clés du génocide de 2002 dans le Gujarat et a déclaré aux caméras : « Nous n’avons pas épargné une seule boutique musulmane, nous avons mis le feu partout. Nous avons haché et incendié. Nous croyons à l’incendie, parce que ces bâtards ne veulent pas être incinérés, ils en ont peur. J’ai juste un seul dernier vœu, qu’on me condamne à mort, que je sois pendu m’importe peu, mais donnez-moi juste deux jours avant ma pendaison et j’irais à Juhapura où sept ou huit cent mille de ceux-là habitent, je les finirais ! »
Et où donc A placerait-il la bible du Rashtriya Swayamsevak Sangh (Nous, ou notre nationalité définie) écrite par M. S. Golwalkar, qui devint le chef du RSS en 1944 ? (Le RSS est le cœur idéologique du parti fondamentaliste hindou, le Baratiya Janata Party, BJP, et de ses milices.)
On y lit : « Depuis ce jour maudit où les musulmans firent le premier pas dans l’Hindoustan, jusqu’au jour d’aujourd’hui, la nation hindoue a combattu courageusement contre ces spoliateurs. L’esprit de la race s’est éveillé. »
Ou : « Pour conserver la pureté de sa race, l’Allemagne a choqué le monde en purgeant le pays des races sémitiques, les Juifs. L’orgueil racial s’est manifesté là à son plus haut degré […]. Une bonne leçon pour nous, en Hindoustan, dont nous devrions tirer bien des enseignements. »
Bien entendu, les musulmans ne sont pas les seules cibles de la droite hindoue, les Dalits (les intouchables) le sont aussi et constamment.
Pendant ce temps, Hafiz Saheed mène une vie d’homme respectable à Lahore (Pakistan) en tant que chef de la Jamaat-ud-Daawa, que beaucoup jugent être une couverture pour Lashkar-e-Taiba. Au son de sermons vicieux et enflammés, il continue à recruter des jeunes garçons pour son propre jihad de fanatique. Babu Bajrangi mène une vie non moins respectable dans le Gujarat (Inde). Deux ans après le génocide, il a quitté le Vishwa Hindu Parishad (VHP), une milice du RSS, pour rejoindre le Shiv Sena, un autre parti nationaliste de droite. Narendra Modi, l’ancien mentor de Bajrangi, est toujours le Premier ministre du Gujarat.
Donc, l’homme qui a mené le génocide au Gujarat a été réélu deux fois et jouit du profond respect de Reliance et Tata, les plus grandes entreprises indiennes. Et comme si cela ne suffisait pas à compliquer notre démocratie laïque, il faut dire officiellement qu’il y a abondance d’organisations musulmanes en Inde tout aussi bigotes et étroites d’esprit ! Bref, si je devais choisir entre A et B, je prendrais B. Nous avons besoin de comprendre les choses dans leur contexte. Toujours.
Dans ce sous-continent nucléarisé, le contexte c’est la séparation, en 1947, entre l’Inde et le Pakistan. La partition déclencha le massacre de plus d’un million de personnes et la plus vaste migration d’une population humaine de l’histoire contemporaine. Huit millions de personnes, hindous fuyant le Pakistan musulman, musulmans fuyant la nouvelle Inde, quittèrent leurs foyers sans rien d’autre que leurs vêtements.
Chacune de ces personnes porte, et transmet, une histoire d’inimaginable douleur, de haine, d’horreur et aussi de nostalgie. Cette blessure, ces muscles déchirés mais pas disparus, ce sang et ces os fracassés nous enferment encore dans un nœud de haine, de terrifiante familiarité et d’amour. Elle a laissé le Cachemire dans un cauchemar dont il ne semble pas qu’il puisse émerger, un cauchemar qui a coûté 60 000 vies. Le Pakistan, la « terre des purs », devint une république islamique, puis très vite un État militaire corrompu, violent, ouvertement intolérant vis-à-vis de toute autre foi.
L’Inde s’est déclarée comme une démocratie inclusive et laïque. C’est là une entreprise magnifique, mais les prédécesseurs de Babu Bajrangi ont travaillé dur, dès les années vingt, à injecter leur poison dans le sang de l’Inde, à miner cette idée de l’Inde, avant même qu’elle ne soit née ! En 1992, des foules hindoues exhortées par L.K. Advani ont envahi la mosquée Babri Masjid et l’ont démolie. En 1998, le BJP était au pouvoir, au centre du pouvoir. La « guerre contre la terreur » américaine les a renforcés. Elle leur a permis de faire exactement ce qu’ils voulaient, même de commettre un génocide et de présenter leur fascisme comme une forme légitime de démocratie chaotique. Ceci s’est passé à une époque où l’Inde ouvrait son énorme marché à la finance internationale et il était dans l’intérêt de la finance internationale, et des médias qu’elle possède, de lui donner l’image d’un pays infaillible. Ceci a donné aux nationalistes hindous l’impunité et l’impact dont ils avaient besoin. Voilà donc le contexte historique du terrorisme du sous-continent et des attentats de Mumbai.
Presque toujours, lorsque ces histoires se démêlent, elles révèlent un complexe réseau mondial de petits soldats, de formateurs, de recruteurs, d’intermédiaires, d’agents secrets d’espionnage et de contre-espionnage travaillant, non seulement des deux côtés de la frontière indo-pakistanaise, mais dans plusieurs pays en même temps. Dans le monde d’aujourd’hui, essayer de définir la provenance d’un attentat terroriste et de l’isoler au sein des frontières d’un seul État-nation ressemble beaucoup à essayer de définir la provenance des fonds de la finance. C’est à peu près impossible.
Le Pakistan se rapproche de la guerre civile, en grande partie à cause du rôle qu’il a dû jouer en tant qu’allié des états-Unis, d’abord dans la guerre avec les islamistes afghans, puis contre eux. Son territoire étouffe sous ces contradictions. L’armée pakistanaise et les services spéciaux ont soutenu les organisations islamistes fondamentalistes. Après avoir donné vie à ces créatures de Frankenstein et les avoir lâchées dans la nature, les États-Unis ont cru pouvoir les ramener au pied, comme un pitbull obéissant. Ils ne s’attendaient en tout cas pas à les voir frapper à la porte, le 11 septembre. Alors, une fois de plus, il a fallu refaire l’Afghanistan, violemment. À présent, les débris d’un Afghanistan reravagé s’échouent sur les frontières pakistanaises. Personne, et surtout pas le gouvernement pakistanais lui-même, ne conteste que celui-ci gouverne un pays au bord de l’implosion. Les camps terroristes, les mollahs enflammés et les maniaques qui croient que l’islam va, ou devrait, gouverner le monde sont en majeure partie le détritus de deux guerres afghanes. Leur colère frappe le gouvernement pakistanais et les civils pakistanais autant, sinon plus, que l’Inde.
Si, à ce point, l’Inde décide la guerre, la chute dans le chaos de la région tout entière sera complète. Les débris d’un Pakistan en faillite, détruit, échoueront sur les frontières de l’Inde ; une menace encore jamais vue. Si le Pakistan s’écroule, attendons-nous à posséder, comme voisins, des millions d’acteurs non étatiques. Mais en possession d’un arsenal nucléaire !
Bien sûr, le bon côté d’une guerre avec le Pakistan est qu’elle est le meilleur moyen pour l’Inde de ne pas s’occuper de ses pressants problèmes intérieurs. Les attentats de Mumbai ont été retransmis en temps réel (et exclusivement) sur à peu près toutes nos chaînes de télévision, sans parler des étrangères. Les présentateurs dans leurs studios et les reporters dans le feu de l’action n’ont pas cessé un moment leurs commentaires excités. Pendant trois jours et trois nuits, nous avons vu, incrédules, un petit groupe de très jeunes gens, armés de mitraillettes et de gadgets, démontrer l’impuissance de la police, des troupes d’élite de la National Security Guard et des commandos de marine de notre nation, officiellement puissante et nucléaire. Et ils en ont profité pour massacrer sans faire de différences des gens sans armes dans les gares, les hôpitaux et les hôtels de luxe, sans s’arrêter à leur classe, leur caste, leur nationalité.
Le nonchalant penchant des gamins terroristes à tuer – et être tué – a hypnotisé le public du monde entier, là c’était du neuf. Les taux d’audience explosaient. Demandez à un quelconque magnat de la publicité, du genre qui mesure le temps en secondes, pas en minutes, ce que ça vaut, ça !
Tout du long, les terroristes n’ont exprimé aucune revendication, ni aucun désir de négocier. Leur but était de tuer des gens, d’infliger autant de dégâts que possible, avant d’être eux-mêmes tués. Ils nous ont complètement stupéfaits.
Dégâts collatéraux. Lorsque nous disons que « rien ne peut justifier le terrorisme », ce que la plupart d’entre nous veulent dire est que rien ne peut justifier le fait d’ôter la vie. Mais alors que faire de ceux qui n’accordent aucune valeur à la vie, pas même la leur ? La vérité est que nous ne savons pas quoi en faire, parce que nous sentons qu’avant même de mourir, ils sont déjà partis dans un autre monde, d’où ils nous sont inaccessibles.
Si ces hommes étaient bien des membres du Lashkar-e-Taiba, pourquoi étaient-ils indifférents au fait que nombre de leurs victimes étaient des musulmans, ou que leurs actes allaient probablement déclencher de sévères représailles contre la communauté musulmane en Inde, alors qu’ils affirment se battre pour ses droits ? Le terrorisme est une idéologie sans pitié, et comme la plupart des idéologies qui regardent les choses en grand, les individus ne comptent pas, hormis sous l’appellation « dégâts collatéraux ». La stratégie terroriste a toujours voulu exacerber une situation déjà mauvaise afin d’en exposer les failles cachées. Le sang des « martyrs » irrigue le terrorisme. Les terroristes hindous ont besoin de morts hindous, les communistes ont besoin de prolétaires morts, les terroristes islamistes ont besoin de musulmans morts. Les morts deviennent la démonstration, la preuve du statut de victime, lequel est essentiel au projet global.
Un seul acte de terrorisme n’est pas, en lui-même, supposé obtenir la victoire militaire. Au mieux, il est vu comme un catalyseur qui déclenche quelque chose de bien plus grand que lui, un changement tectonique, un réalignement. L’acte lui-même, c’est du théâtre, du spectacle, du symbolisme, et aujourd’hui la scène sur laquelle il pirouette et accomplit ses actes de bestialité est la télévision live. Pendant que les attentats de Mumbai étaient condamnés par les présentateurs, leur efficacité était multipliée par mille par les images télévisées.
Même si un chapitre d’horreur s’est clos à Mumbai, un autre pourrait bien s’être ouvert. Jour après jour, une puissante et bruyante partie de l’élite indienne, excitée par des voyous télévisuels, s’est mise à attaquer les politiciens, tous les politiciens, à glorifier la police et l’armée, et en est quasiment à exiger un état policier. Il n’est pas surprenant que ceux qui se sont gorgés de la soupe démocratie en appellent à présent à la fondation d’un état policier. La soupe est finie. Nous en sommes à une ère nouvelle, appelée « Prendre de force », dans laquelle la démocratie gêne. Les simplifications stupides et dangereuses telles que Police bonne vs Politiciens mauvais, PDG bons vs Premiers ministres mauvais, Armée bonne vs Gouvernement mauvais, Inde bonne vs Pakistan mauvais sont dégorgées par des chaînes de télévision qui ont déjà rendu leurs spectateurs hystériques. Il est tragique que cette forme intellectuelle de régression infantile ait lieu à un moment où les gens, en Inde, commencent à voir que, en matière de terrorisme, les victimes et les coupables échangent parfois leurs rôles.
Selon un homme qui aspire à devenir le prochain Premier ministre de l’Inde et un autre qui incarne à l’image une grande chaîne de télévision, les citoyens n’ont pas le droit de poser des questions sur la police. Ceci dans un pays qui a connu nombre d’attentats terroristes suspects, d’enquêtes louches et de rencontres truquées. Dans un pays qui a le plus grand nombre de personnes mortes en détention provisoire et qui refuse de ratifier la Convention internationale contre la torture. D’ailleurs un pays où c’est une chance d’être torturé, parce que cela signifie que l’on n’a pas rencontré les spécialistes de la rencontre. Un pays où la frontière entre le milieu et les spécialistes de la Rencontre n’existe pas.

Le monstre dans le miroir
Comment, nous dont les cœurs ont été soulevés par toutes ces choses, devrions-nous considérer toutes ces choses, et que pouvons-nous faire ?
Si le but du 11 septembre était de forcer l’Amérique à se montrer sous son vrai jour, alors c’est une réussite, du point de vue des terroristes : l’armée américaine est engluée dans deux guerres qu’elle ne peut pas gagner, et qui ont fait des États-Unis le pays le plus haï au monde. Ces guerres ont largement contribué à l’effondrement de l’économie américaine et qui sait, à celui de l’empire américain. Se pourrait-il que l’Afghanistan ravagé et bombardé, déjà cimetière de l’Union soviétique, devienne aussi le cimetière de cet empire-là ? Des centaines de milliers de personnes, dont des milliers de soldats américains, ont perdu la vie en Irak et en Afghanistan. La fréquence des attentats terroristes contre les agents et les alliés des États-Unis (dont l’Inde) et les intérêts américains dans le monde a énormément augmenté depuis le 11 septembre. George W. Bush, l’homme qui a mené la réponse américaine au 11 septembre, est un homme méprisé non seulement internationalement, mais aussi par son propre peuple. Qui peut affirmer, dès lors, que les États-Unis gagnent la guerre contre le terrorisme ?
Nous avons comme voisin une puissance nucléaire hostile qui perd lentement tout contrôle. Nous avons une occupation militaire dans le Cachemire et une minorité honteusement persécutée et appauvrie de plus de 150 millions de musulmans qui sont pris pour cible et acculés, dont la jeunesse ne voit guère de justice dans l’avenir et qui deviendrait, si elle perdait tout espoir et se radicalisait, une menace non seulement pour l’Inde, mais pour le monde entier. Si dix hommes suffisent à tenir en échec les commandos et la police pendant trois jours, s’il faut un demi-million d’hommes pour tenir le Cachemire, faites le calcul. Combien d’hommes faut-il pour tenir l’Inde ? Et il n’y a guère d’autre solution rapide. Les lois antiterroristes ne sont pas faites pour les terroristes mais pour les gens que les gouvernements n’aiment pas. Elles ne sont qu’un moyen de mettre les gens en détention provisoire pour un long moment avant de les relâcher. Les terroristes du genre de ceux qui ont attaqué Mumbai ne seront pas terrifiés par la peine de mort, la mort est ce qu’ils cherchent.
Nous sommes en train de subir le retour de flamme, le résultat de l’accumulation de décennies de solutions hâtives et d’actes crapuleux. Ça pue, partout.
Le seul moyen de contenir – il serait naïf d’écrire vaincre – le terrorisme est de regarder le monstre dans le miroir. Nous sommes à la croisée des chemins. Un panneau dit « Justice », l’autre « Guerre civile ». Il n’y a ni troisième panneau ni sortie. Choisissez.

Arundhati Roy