Outox, l’intox

mis en ligne le 6 juillet 2010
Naguère, du côté de Saint-Brieuc, une rumeur affirmait que gober deux œufs durs permettait de ramener à zéro son taux d’alcolémie, avant de reprendre le volant. Chaque région de France développant ses propres croyances, il était question, en Haute-Saône, d’ingurgiter ses 200 grammes de cancoillotte à l’ail pour atteindre le même résultat. Au sud de la Loire, une grosse cuiller d’huile d’olive permettait, à ce qu’on disait, de faire glisser les gamma GT dans une sorte de no man’s land gastrique, et de faire mentir les alcotests. Las ! Ce n’était que balivernes et tentatives artisanales, renvoyées au folklore par la boisson Outox, produit industriel, bientôt distribuée en Europe sur une large échelle. Outox, a priori, ce n’est jamais qu’un nouveau soda, composé de fructose et d’acide ascorbique. Un peu comme le Tang, ce jus d’orange en poudre dont ne peuvent pas ne pas se souvenir celles et ceux d’entre nous nés en 1966. Cependant, cet Outox se présente d’emblée comme, je cite, « une boisson de responsabilisation et de sécurité, au même titre que la ceinture du même nom ». Diantre. Outox ayant, à ce qu’il parait, le pouvoir de faire baisser un taux d’alcolémie aussi élevé soit-il, ses promoteurs la présentent donc comme une « boisson anti-alcool. » Ce qui, bien entendu, est un non-sens total, dans la mesure où, loin d’empêcher de consommer, la boisson en question permettrait de picoler puis de reprendre la route, sans risque. Comme tous les produits tendancieux, Outox a trouvé une façon de labo « indépendant » (Dermscan, pour ne pas le citer), concluant à l’efficacité de cette poudre de perlimpinpin. Les tests du labo ont porté sur un panel de… 60 volontaires, ce qui suffit à prouver le sérieux de l’étude. Que les scientifiques, eux sérieux, travaillant depuis toujours sur les problèmes d’alcolémie, s’insurgent contre cette nouvelle fable et en soulignent les dangers, qu’ils s’entêtent à rappeler qu’aucune formule magique n’est jamais parvenue à gommer, dans le sang, et comme par miracle, l’alcool (la seule formule efficace étant le sommeil, et le temps), semble ne guère peser face aux enjeux économiques. Lesquels enjeux pouvant se révéler astronomiques, pour peu que la jeunesse adopte cet Outox. Car le marché, ce sont les jeunes. Ils boivent, ils conduisent, ils consomment. Dès lors, on ne s’étonnera pas de voir les premières campagnes de promotion de la boisson s’adresser, en priorité, à cette jeunesse qui se soule en fin de semaine ou en milieu, et de voir se multiplier les « événementiels », le sponsoring sur les concerts et dans les boîtes de nuit. D’où vient aussi que les alcoliers, les Ricard et consorts, lesquels sont toujours les premiers à crier au scandale dès que se profile une campagne au sujet de l’alcool, cette fois demeurent muets ? C’est que l’intention est claire, les intérêts partagés, et l’entente évidente, entre ceux dont le métier est de vendre de l’alcool et ceux prétendant vendre un produit permettant d’en maitriser les pires effets. Vendre, dans un même mouvement, le poison et l’antipoison, n’est-ce pas, finalement, le rêve de tout entrepreneur ?

Fred