Sans-papiers en Allemagne : expulsions dans le Bade-Wurtemberg

mis en ligne le 20 mai 2010
Le Monde libertaire : Peux-tu nous dire quand le Collectif s’est créé et qui le compose ?

Heribert Breche : Sous l’impulsion du groupe de Fribourg Aktion Bleiberecht, une première réunion s’est tenue à la mi-janvier 2010. Ce groupe apporte un soutien concret aux réfugiés dans la région de Fribourg.
La composition politique est très large. On y trouve des associations, des groupes communistes, antifascistes, anarchistes et des personnes issues du milieu de la contre-culture. The Voice, qui est une organisation animée par des réfugiés pour défendre leurs droits, fait aussi partie du Collectif. Parmi nos soutiens, on trouve aussi des syndicats, un parti et des individus.

M. L. : Quel est ton sentiment sur la mobilisation et comment se met-elle en place ?

H. B. : Pour l’instant, ça se passe bien. Il ne faut pas oublier que ces dernières années le sujet des expulsions ne trouvait guère d’échos dans le sud-ouest de l’Allemagne, même si paradoxalement il y avait de nombreux groupes et individus qui travaillaient sans relâche sur la question. Le problème majeur c’était qu’ils avaient une audience très limitée.
À l’exception de la gauche radicale, l’opinion publique ne prenait guère conscience de la mise en place de l’Europe forteresse et le rôle joué par un organisme comme Frontex 3.
C’est pour cela que nous, ainsi que d’autres groupes, avons multiplié des soirées d’information et de mobilisation sur la question des sans-papiers.
En avril, une cinquantaine de militants ont bloqué dans la matinée l’aéroport de Baden-Baden alors qu’une expulsion était en cours. Cette action a rencontré un écho important. Le même soir, une manifestation spontanée se déroulait à Fribourg pour dénoncer les expulsions.

M. L. : D’où viennent les personnes expulsées ? Est-ce que tu disposes de chiffres sur le nombre d’expulsions ?

H. B. : Ce qui a déclenché la campagne du Collectif c’est que depuis juin 2009, les Roms originaires du Kosovo vivant en Allemagne peuvent être expulsés. Rien que pour le Bade-Wurtemberg, cela touche 1 200 personnes.
À travers des accords sur les flux migratoires conclus avec la Syrie, environ 7 000 personnes originaires de ce pays sont menacées d’expulsion. Au niveau de l’UE, de tels accords ont aussi été conclus avec le Maroc, le Pakistan, l’Algérie, la Chine et la Russie.

M. L. : Dans quelles conditions les expulsions se déroulent-elles ?

H. B. : Elles se font par charters entiers. En fait, c’est la présidence du gouvernement de Karlsruhe qui affrète un avion qui sera rempli de sans-papiers et qui les « expédiera » vers leur pays d’origine.
Avant l’expulsion, les sans-papiers sont « rassemblés » dans des centres de rétention ou alors directement arrêtés à leur domicile. Cela se déroule en général tôt le matin, pour plus de discrétion…

M. L. : Peux-tu nous dire quelques mots sur le sale business auxquels se livrent certaines compagnies aériennes ?

H. B. : Air Berlin et Hamburg International sont deux compagnies connues pour gagner beaucoup d’argent en étant complices des expulsions. Mais elles ne sont pas les seules ! Au mois de février, la présidence du gouvernement de Karlsruhe a affrété un charter à Hemus Air (Bulgaria Air).

M. L. : Qu’est-ce que ça représente pour toi, en tant qu’anarchiste, de soutenir les sans-papiers ?

H. B. : La liberté représente l’état vers lequel on doit tendre. La liberté de circulation en est un aspect. Tout le monde en dispose théoriquement, mais pas en Allemagne. Les réfugiés sont soumis à l’obligation de résidence, c’est-à-dire qu’il leur est interdit de quitter une zone géographique précise. Ici, les droits des gens qui ne sont pas issus des pays de l’Union européenne sont très restreints et leur dignité bafouée. Ils vivent dans des foyers pour réfugiés et sont parqués dans des centres de rétention. Ils n’ont pas accès à l’éducation et se voient sans cesse harcelés par les administrations. La possibilité pour eux de construire une vie comme ils l’entendent est inexistante.
En tant qu’anarchiste, je prends part à de nombreuses luttes, pour le moment c’est celle des sans-papiers. Cette lutte est en quelque sorte une pièce du puzzle.
Le travail en collectif, c’est une autre paire de manches. Je me heurte souvent à mes propres limites ou à celles des autres en ce qui concerne la prise de décisions ou les formes d’action. Pourtant, il est important pour moi de travailler ensemble avec d’autres groupes et individus car on n’est pas nombreux et nous avons besoin les uns des autres.

Propos recueillis et traduits par Olynx, du groupe de Strasbourg de la Fédération anarchiste

1. L’Ortenau est le district allemand voisin de l’Alsace, une région faisant partie du Bade-Wurtemberg.
2. www.deportationairpark.blogsport.de
3. Agence créée pour la gestion des frontières extérieures de l’UE.