Interview d'un militant indépendantiste

mis en ligne le 9 juin 1988
- Actuellement, une mission œcuménique composée de gens de diverses obédiences est en Nouvelle-Calédonie, mais la situation ne change pas pour autant. L'armée a encore tué un jeune qui surveillait les allées et venues aux alentours de la tribu de Paola. Des militaires l'ont abattu par derrière. On n'ose pas le dire, mais là-bas le climat de tension est terrible. Le jeune en question s'est enfui et a reçu quatre balles explosives. Une balle a traversé les intestins avant d'exploser… Il a agonisé pendant deux heures. La famille a demandé une autopsie, mais comme il s'agit de l'armée il n'y en a pas eu. (…)
Tout ça pour dire que la répression continue et que ça risque d'empirer. La commission est venue tester le terrain et temporiser en attendant les législatives. Si les socialistes sont majoritaires à l'Assemblée, ils vont plus ou moins appliquer la politique qu'ils mènent depuis 1984 en Nouvelle-Calédonie. Nous, on attend rien du gouvernement français. Ce que l'on veut c'est l'indépendance, ensuite on discutera des modalités.

- Radio libertaire : Pouvez-vous maintenant nous dresser un tableau de l'état de mobilisation des indépendantistes face à cette recrudescence de violence de la part de l'Etat ?

- Il y a énormément de flics en ce moment, même si le gouvernement a changé, entre 10 000 et 30 000 hommes. Actuellement, les gens des comités de lutte sont assez vigilants. Ils doivent assurer la surveillance des tribus et tourner la nuit, car il y a des casernements de mobiles et de paras un peu partout.
À Nouméa, une bombe a explosé dans la cité Pierre-Lanquette, faisant quatre blessés et un mort (une femme perdant son bébé, un vieillard ayant les tympans crevés…).
Il y a aussi énormément de fascistes qui circulent sur tout le territoire. Depuis la réélection de Mitterrand, ils ont peur que ce dernier ponde un statut d'indépendance et que, là-bas, les gens soient complètement bernés. (…)
Maintenant, je pense qu'il y a toujours un climat de méfiance et de tension. Le gouvernement actuel, quoi qu'on dise, ne fait rien pour désenclaver les tribus des forces de l'ordre. À Ouvéa, l'aéroport est toujours sous contrôle militaire, comme un peu partout.

- Radio libertaire : En fait, il n'y a eu aucun geste concret du gouvernement pour retirer les troupes…

- Non ! Encore une fois, on passe après les intérêts du gouvernement français, dans l'immédiat les législatives. Pour nous, la position ne change pas. Je rappelle que l'on exige le retrait des forces de l'ordre de Kanaky et le désarmement des milices fascistes – car personne n'ignore que les extrémistes de droite ont tout préparé pour rendre la situation beaucoup plus explosive et mettre le gouvernement socialiste dans de réelles difficultés. (…)
Il faut faire en sorte que l'on négocie dans des conditions un peu plus calmes, dans la mesure où d'une part on est d'accord pour préparer un dialogue avec la mission et où, dans le même temps, on descend des Canaques. (…)
Jusqu'à présent, on n'a pas fait le nécessaire pour que les tensions entre indépendantistes et anti-indépendantistes soient moins marquées. Maintenant il n'y a plus un fossé mais carrément une tranchée entre les deux communautés. On veut toutefois réaffirmer que l'on reste mobilisé. L'affaire d'Ouvéa n'a pas pour autant entamé la détermination du peuple canaque, au contraire ! Même si les actions relatées dans les médias peuvent paraître parcellaires, sur le terrain les militants sont toujours mobilisés. Face aux forces de l'ordre présentes actuellement, mais aussi face à la répression qui peut venir de l'extrême droite, en train de s'organiser. On ne le dit pas a ssez, mais l'attentat dont nous parlions tout à l'heure a eu lieu dans un quartier populaire. N'y habitent que des Canaques et des Wallisiens. Ce n'est pas innocent si une bombe a explosé là.

- Radio libertaire : Elle aurait pu d'ailleurs faire encore plus de dégâts… Ces attentats dirigés contre la population, c'est tout à fait la stratégie de l'extrême droite « pure et dure », comme celle appliquée en Europe dans les années 70, notamment en Italie…

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