Le jury du carnaval d’Oslo se lâche

mis en ligne le 22 octobre 2009
Selon les clauses testamentaires de feu Alfred Nobel, le doux inventeur de la dynamite, son prix éponyme de la paix devra récompenser « la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix ».
Le hic est que le jury chargé d’exécuter les volontés posthumes de ce grand bienfaiteur de l’humanité, en l’occurrence un comité nommé par le Parlement norvégien, possède une tendance chronique à stimuler sa réflexion à grandes lampées de brennevin (eau-de-vie nationale). Bof, pas de quoi titrer « scandale chez les Scandinaves », car si ces gugusses ont fait très fjord en attribuant le prix 2009 à Barack Obama, par le passé leurs cogitations éthyliques aboutirent à des résultats au moins aussi grotesques. Parmi les preux chevaliers de la paix nobélisés à Oslo (de vie), citons par exemple Henry Kissinger, Shimon Peres, Anouar el Sadate, Menahem Begin.
Puisant dans le vase ébréché contenant les dix citations latines qu’ils sortent à l’occasion, nonobstant son imputrescible cynisme, les jurés en chérissent une tout particulièrement Si vis pacem para bellum (Si tu veux la paix prépare la guerre).
Frater Obama, un pied dans le rôle du prêcheur resservant avec des accents prophétiques le Sermon sur la montagne, l’autre dans celui du « pragmatique à toute épreuve car sa fonction l’y oblige », excelle dans la réalisation de ce grand écart furieusement imbibé de schizophrénie. Le jury a loué Obama « pour ses efforts en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationale entre les peuples », fort bien. Mais le revers de la médaille est beaucoup moins reluisant. Peut-on le démontrer ? Yes we can ! Le budget de la défense des états-Unis n’a jamais été aussi élevé dans la courte mais tumultueuse histoire de ce pays. Il est passé de 606,4 milliards de dollars sous Bush en fin 2008 à 680 milliards de la même monnaie sous Obama. Conséquence de quoi, l’industrie de la guerre et de la mort avale 75 millions de dollars par heure. Ce Mississipi de dollars permet à la première puissance impériale du monde de rester le plus gros fabricant d’armes de toutes sortes et de caracoler en tête des nations choyant ce type de commerce à l’exportation.
Certes, nous entendons les objections de tous les ceusses (pas uniquement des laudateurs) estimant que, d’espoirs démesurés, il ne faut pas charger outrageusement le premier des ânes démocrates. Barack Obama ayant investi les écuries de la Maison Blanche depuis seulement dix mois, ceci expliquerait qu’il n’ait pas eu le temps d’extraire tout le fumier produit par l’éléphant de guerre Bush, dernier occupant des lieux. La fable est belle, mais ce n’est qu’une fable.
Tant pis pour les adeptes du « il ne faut pas désespérer les assoiffés de paix du monde entier », mais, hormis ses discours parfumés à l’eau de rose et au jasmin, les décisions de Barack Obama et de l’administration qu’il dirige ne plaident guère en sa faveur.
Le retrait des troupes américaines en Irak se fait au compte-goutte. Pis encore, une vaste supercherie annule largement ce désengagement… partiel. En effet, des sociétés de sécurité privées (des chiens de guerre, dit plus simplement) prennent le relais. Au final, une grande partie des boys ayant ravagé l’Irak sera déployée en… Afghanistan.
Au sujet du pays que nous venons de citer en dernier, le Washington Post vient de révéler que Barack Obama a décidé d’y envoyer 13 000 soldats supplémentaires en plus des 21 000 renforts annoncés en mars. Le général McChrystal, jamais rassasié, en réclame 40 000 autres. Sans grand risque nous prenons le pari que son désir sera bientôt exaucé.
Le bagne de Guantanamo a-t-il été démantelé ? Non, il croupit dans les promesses de campagne de l’ancien candidat Obama. Peut-être le sera-t-il en 2010 ? Changeons de continent. Au rayon des certitudes, la base de Bagram en Afghanistan sera toujours parcourue par les hurlements des prisonniers soumis à la torture.
Le Conseil de sécurité de l’Onu, s’appuyant sur le rapport Goldstone, traduira-t-il les maîtres de l’opération « Plomb durci » qui ravagea la Bande de Gaza en 2008 devant la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre ? Non. Les états-Unis continueront encore et toujours de couvrir les sanglants agissements des bouchers qui dirigent l’État hébreu.
Nous pourrions continuer d’énumérer, la voix pleine d’indignation, les conséquences de la pax americana revue et corrigée par Obama, mais, comme le prix Nobel de rhétorique n’existe pas et qu’en sus nous conchions tous les hochets grotesques de ce type, nous nous abstiendrons de le faire.
Obama s’est méthodiquement prêté au jeu qui a consisté à renforcer son image de colombe, d’où les ricanements à peine rentrés des faucons avec qui il a passé contrat et, symétriquement, les pitoyables prosternations des adorateurs de l’icône qu’il est devenu à leurs yeux.
Voilà l’histoire en mouvement d’un mec beau et intelligent à la fois. Hélas pour lui, et surtout pour la majorité des habitants de la planète, à force de jouer au prophète, Obama a fini par se persuader qu’il en était un. Le résultat est horrifique. Mais qui sait, peut-être reviendrait-il à la raison si des millions de fausses brebis menaçaient de le fesser avec un… rameau d’olivier ?