Le sens de la mesure

mis en ligne le 29 avril 2010
Il faut reconnaître que, fidèles en cela à une veine pamphlétaire héritée des éditorialistes et chroniqueurs anarchistes de toujours, il nous arrive d’y aller parfois un peu fort dans la critique du personnel politique. Cette outrance dans le propos, que nul besoin de séduire un électorat potentiel ne vient amoindrir, nous distingue grandement des élus de toute sorte, que le sens des responsabilités et une recherche obstinée de l’intérêt général amènent à développer un sens de la mesure en tous points remarquable.
Prenez, au hasard, Christian Estrosi. Il est ministre. C’est dire s’il a fallu à cet homme, parvenu à cette haute fonction, observer un strict respect des limites à ne pas franchir. L’excès, chez lui, n’existe qu’en amitié. Quand il n’hésita pas, par exemple, à affréter un avion privé pour 138 000 petits euros, payés par la République, afin d’arriver à l’heure au palais de l’Élysée pour un pot entre copains, comme il en existe dans toutes les entreprises où règne la convivialité.
Eh bien, seul un homme aussi mesuré pouvait se permettre de qualifier l’attitude des cheminots de Sud-Rail, lors du récent conflit à la SNCF, d’aussi détestable que celle d’ouvriers du déblaiement qui auraient choisi de faire grève en Haïti au lendemain du fameux tremblement de terre qui a fait, rappelons-le, 230 000 morts et un million et demi de sans-abri.
Outre ce sens de la mesure magnifiquement illustré par cette déclaration, on appréciera aussi toute la sincérité de la compassion éprouvée en janvier par M. Estrosi envers les victimes d’une catastrophe qui lui sert d’argument, trois mois plus tard, pour condamner ici, sans vergogne, un droit des plus élémentaires, et tenter ainsi de mettre fin à une grève, alors qu’il suffisait pour cela de laisser faire la CGT.
Un goût prononcé pour la démesure nous est parfois reproché. Quand il ne sera plus ministre, M. Estrosi pourrait peut-être rédiger nos éditoriaux ?