L’abstention aux régionales

mis en ligne le 25 mars 2010
Dans son édition du 19 mars, le Quotidien Vespéral des Marchés offre l’occasion à Robert Solé – son Sirius de contrebande – de nous offrir un exemple d’humour mondain : « Le 11 mars, trois jours avant le premier tour, la journée de l’audition n’a pas permis d’entendre les ronflements formidables de 53,64 % du corps électoral. »
Inversement, la main appuyée sur son Front (de gauche), car traversé l’espace d’un instant par une illumination de taille, Jean-Luc Mélanchon déclarait sur son blog le 15 mars : « Cet océan d’abstention, c’est le cri qui monte : « Que se voyan todos ! » (qu’ils s’en aillent tous !). […] Après cela, toute la soirée électorale, comme ce petit lendemain, fonctionne comme une absurde gesticulation dont les grosses ficelles écrasent le tableau. Tout le monde fait "comme si". "Comme si" c’était un résultat comme un autre, "comme si" la vie continuait comme avant et ainsi de suite. »
Mais, sitôt dissipée sa bouffée de lucidité, la proverbiale modestie de notre Chavez en culottes courtes reprend le dessus : « Si je nous regarde, nous, et notre Front de gauche, je n’exagère rien de ce qui nous arrive. Et je ne peux en faire le centre des événements. Mais j’en tire une part d’honneur qui est rare dans l’action politique. D’abord nous avons confirmé une stratégie d’autonomie. Elle nous coûte, c’est sûr, car les socialistes ont la vengeance froide, n’en doutez pas. » Sacrée découverte ! Eh oui, le pot qui sent pas la rose est plein d’épines, mais l’obtention de quelques cuillerées de confiture de pouvoir est à ce prix, or comme toi et tes alliés de l’heure visez – aussi – à vous en mettre plein le Buffet, forcément cela vous oblige à vous travestir en petits sauveurs suprêmes pour drainer les suffrages de nombre de femmes et d’hommes sincères qui croient à la possibilité de subvertir le système de l’intérieur afin de l’orienter vers des horizons plus « souriants » pour l’humanité entière.
Bien que formulant moult réserves vis-à-vis du PS, le numéro 1093 de l’hebdo Politis titrait en une : « Le grand chelem contre Sarkozy ». Filant toujours la métaphore sportive, après le premier tour ce même journal nous donnait à voir l’image d’un Sarkozy cabossé avec pour légende : « Et maintenant le K.-O. ? » Très logiquement, l’éditorial de Denis Sieffert, son subtil Rédacteur de la rédaction, s’intitule « Un genou à terre ». L’analyse portant sur l’échec de la droite est solide. Sa clairvoyance lui permet d’affirmer ceci : « Quant au Parti socialiste, il est le témoin passif de sa propre victoire. Le vote de dimanche [c’est-à-dire celui du 14 mars] n’est en rien un vote d’adhésion, mais un vote de rejet de la droite. » Allant plus loin dans son diagnostic, le même rajoute : « Posons-nous la dernière question qui vaille. La plus importante sans doute : qu’est-ce que le scrutin de dimanche [en l’occurrence celui du 21 mars], à supposer qu’il soit confirmé au second tour, va changer dans la vie de nos concitoyens ? De façon un peu provocante, on serait tenté de répondre : rien ! » Las, la provocation est savamment calculée et maîtrisée. Denis Sieffert recommande-t-il au camp du travail de s’organiser par lui-même et pour lui-même sans plus s’en remettre à de nouveaux bergers ? Vous n’y êtes pas. Écoutons-le encore : « […] à gauche, le sentiment que le mouvement est réengagé dans le bon sens peut créer une dynamique nouvelle. Y compris dans la rue. Le problème, c’est précisément le « mouvement de balancier ». Ce n’est sûrement pas ce qu’il faut. La défaite de Sarkozy est bonne pour le moral. Mais à gauche, il faut du neuf. Quelque chose qui, par exemple, prendrait le meilleur du Front de gauche et le meilleur des Verts… »
Ces choses sont formulées élégamment, et avec un art consommé de la dialectique qui plus est, ce qui – hélas – les rend d’autant plus persuasives qu’elles sont « vitaminées » par le « Y compris dans la rue ». La « rue » devenant un adjuvant, ou un simple appendice des urnes. Il faut se faire (pas Sieffert) à cette idée, nous n’avons rien à attendre de la démocratie représentative en ce qu’elle est un instrument visant à perpétuer la domination du capital sur ceux qui sont contraints de lui louer leur force de travail pour vivre… de plus en plus mal. Aider à la reconstruction d’une gauche qui vise à réformer le capitalisme, par exemple « en redonnant plus de pouvoir aux citoyens » reviendrait à nous engluer encore et encore dans des illusions mortifères.
Ceci étant, méfions-nous tout autant du culte extatique du grand soir, ou de l’incantation en boucle – parce qu’aveu de notre impuissance actuelle d’être en réelle capacité de provoquer son advenue à court terme – de la formule « grève générale ».
Nous détestons les donneurs de leçons surtout quand ils déversent leurs oracles à deux balles au dessus de nos têtes. Pareillement, nous haïssons les avant-gardes autoproclamées. La meilleure manière de ne pas sombrer dans tous les travers que nous venons d’évoquer existe. Mieux, elle est à portée de nos mains. Nous ne pouvons faire le procès des appareils politiques et/ou syndicaux et simultanément nous mettre à leur remorque en jouant les rôles ambigus autant qu’improductifs de poil à gratter, mouches du coche, etc. Par contre, il ne tient qu’à nous de faire l’apprentissage de la production en compte propre et non pour le compte d’autrui en particulier dans les entreprises en lutte. Enfin, l’instauration de nouveaux rapports sociaux entre producteurs et consommateurs, ou leur développement, participe complètement des pratiques fédéralistes ou autogestionnaires qui font la force de nos idées.
Au fait, révérence gardée au joli mot « con », n’oublions jamais que – majoritairement – ne le sont pas ceux qui vont voter mais beaucoup plus sûrement les clercs de toutes obédiences qui les incitent lourdement à accomplir un rite consistant à caresser… leurs urnes, bien sûr.