éditorial du n°1374

mis en ligne le 3 novembre 2004

Ainsi l'Europe s'apprête à implanter, dans le Maghreb et ailleurs, des camps de rétention, sorte de gares de triage pour viande humaine. De réalistes technocrates plantent de petits drapeaux sur la carte de la misère. C'est ce qu'ils appellent, dans leur jargon, externaliser la gestion des flux migratoires. Le ministre italien des affaires étrangères parle lui d'installer des « guichets » aux portes de l'occident, comme si il ne s'agissait que d'acheter une place de cinéma. Pour celles et ceux qui auront les moyens de se payer l'entrée (car ces vastes réserves de main d'œuvre bon marché attireront, n'en doutons pas, biznessmen et mafias), le film risque d'être gore. Quant aux autres, on ose à peine imaginer à quoi se réduira leurs existences, des années dans ces camps. Contentons-nous de constater que l'Europe, forteresse, renoue avec les aspects les plus lugubres de son histoire, tant l'idée de guichet renvoie à celle de comptoirs, de sinistre mémoire. Les négriers sont prêts. La traite peut reprendre.

Ceux qui auront réussi à passer à travers la trémie se verront octroyer le droit d'aller manipuler des matériaux radioactifs dans les usines vétustes du groupe AFE. Lorsqu'ils développeront leur leucémie ou autre cancer, ils seront déjà expulsés depuis longtemps, ce qui aura pour avantage de ne pas les comptabiliser dans les statistiques des personnes contaminées. L'humiliation devrait pourtant s'arrêter devant ces femmes des industries avec leurs doigts bouffés aux acides et leurs poumons en rade. Comme le disait Ferré dans les années 70...

Contaminée, l'école l'est assurément par la convention liant, depuis peu, le monde enseignant et celui, peu recommandable, de la police. Non contents d'être chargés de « sécuriser (sic) les abords des collèges et lycées », les flics passeront dans les classes faire de la prévention (re-sic). C'est peu dire qu'un tabou est ici brisé, comme disent les journalistes. Sous prétexte de vérifier que cordes-à-sauter et scoubidous sont bien aux normes, c'est leur présence que les bleus imposeront aux enfants. Ils s'y feront, ils devront s'y faire, on fera en sorte qu'ils s'y fassent. L'école n'est après tout que notre premier encasernement, censé nous préparer aux autres. À ce jour, nous attendons toujours une réaction, même symbolique, des syndicats de l'enseignement. On peut toujours attendre.