AnarchoRésistance à  Sofia

mis en ligne le 18 décembre 2005

Bulgarie

Ivo : Le mouvement est né à la fin des années 1990. Nous sommes un petit groupe, qui n'est pas inscrit dans un courant particulier de l'anarchisme. Nous faisons référence à la ligne de l'anarchisme traditionnel, anti-électoral. Certaines personnes veulent renouveler le groupe par des mouvements anti-globalisation. En fait, dans AnarchoRésistance, il y a deux groupes non officiels. L'un des groupes pense qu'on peut changer la situation actuelle par des manifestations pacifiques, sans violence, et l'autre soutient plutôt un changement par des voix plus révolutionnaires, même avec de la violence. Personnellement, je me situe entre les deux courants.

Concernant nos relations avec d'autres mouvements, nous soutenons des manifestations écologiques, en liaison avec une organisation écologique « Pour la terre ». Nous avons également des liens avec deux autres mouvements à Sofia : un mouvement pour la légalisation du cannabis, et un mouvement nommé « 23 septembre », communiste, composé de jeunes, pour beaucoup staliniens. En principe, nous ne voulons pas agir avec eux, mais comme il y a très peu de jeunes militants, nous menons parfois des actions communes, par exemple contre l'OTAN, question sur laquelle nous partageons le même point de vue. Pour le 1er mai, par contre, nous manifestons seulement entre anarchistes.

Nous entretenons aussi des liens forts avec le mouvement anti-autoritaire à Thessalonique, en Grèce, et aussi avec Initiative anarchosyndicaliste de Belgrade, parce qu'ils sont proches de nous.

Le groupe est composé en grande partie d'hommes, mais deux ou trois femmes sont très actives aussi.

En terme d'activités, nous réalisons le journal mensuel de la Fédération anarchiste bulgare (FAB). C'est la FAB, les « vieux anarchistes » (le plus jeune ayant 71 ans), qui finance le journal, mais c'est AnarchoRésistance, les jeunes, qui écrivent la plupart des articles. AnarchoRésistance n'a pas d'existence légale, le journal est donc édité sous le nom de la FAB. Nous éditons également des affiches en lien avec les manifestations contre la guerre, contre l'OTAN, contre les OGM (actions anti-Mc Donald's, notamment).

Nous avons des sites Internet réalisés par nos adhérents et nous avons mis en place l'agence Indymédia bulgare, qui est animée essentiellement par des anarchistes.

Nous voulons participer à toutes les rencontres internationales contre la globalisation, la guerre... ou à des conférences, mais nous manquons d'argent pour nous déplacer. Cela repose donc sur nos possibilités individuelles.

Nous avons des contacts avec d'autres anarchistes en Bulgarie, mais il y a peu de groupes, surtout des personnes isolées. Mais, globalement, il y a de plus en plus de gens, actuellement, qui s'intéressent au groupe et voudraient adhérer.

Sophie et Fred : Peux-tu nous parler de vos relations avec la FAB ?

Ivo : La FAB est une organisation où il y a surtout des « anciens » anarchistes, c'est une autre génération, qui vit un peu dans le passé, et AnarchoRésistance est en quelque sorte la section jeune de la FAB. Nous réalisons le journal et eux le financent. Par exemple, quand les « vieux » écrivaient le journal, il y avait beaucoup de « mémoires » sur ce qui s'est passé. Aujourd'hui, nous voulons parler des mouvements antiglobalisation, nous mettons des liens Internet avec des sites anarchistes russes ou grecs, et chacun peut envoyer un article, qui sera publié dans le journal, même s'il vient de l'étranger.

Parmi les « vieux » anars, certains ont été prisonniers dans des camps de travail pendant vingt ou trente ans, sous le régime communiste. Dans les camps, les prisonniers travaillaient de six heures à vingt-quatre heures, avec seulement un morceau de pain à manger pour toute la journée. Ils se nourrissaient de racines, de grenouilles, de serpents, tout ce qu'ils trouvaient pour ne pas mourir de faim. Ces camps regroupaient non seulement des anarchistes, mais aussi toutes les personnes qui étaient contre le régime communiste. Les groupes anarchistes dans les camps étaient très forts, en terme de solidarité, d'entraide, face au manque de nourriture. C'est grâce à cela qu'ils ont survécu. Certains ont sûrement été torturés dans les camps. Il y a également eu des assassinats d'anarchistes, avant le communisme, après la Première Guerre mondiale, c'était une situation de guerre civile.

D'autres anarchistes bulgares ont émigré en France, en Australie. D'autres encore se sont tus, politiquement, pendant toutes ces années.

Sophie et Fred : Aujourd'hui, à quinze ans du changement de régime, que penses-tu de la situation politique, économique et sociale en Bulgarie ?

Ivo : Je pense que la situation s'est détériorée. Le « grand frère » russe est remplacé par le « Big Brother » américain. La seule chose qui a changé, c'est la liberté d'expression, d'opinion politique, mais il n'y a pas de sécurité, il y a beaucoup de crimes, et d'insécurité dans le travail (chômage très important). Au niveau social, ça s'est détérioré car les mêmes personnes sont au pouvoir, mais pour la population, c'est pire : il y a beaucoup de chômeurs, de gens qui sont à la rue (avant ça n'était pas possible). D'un autre côté, on parle de démocratie, mais on ne demande pas au peuple s'il est d'accord pour adhérer à l'OTAN ou à l'Union européenne. On a subi une sorte de « thérapie de choc », parce que le passage du communisme au capitalisme a été très rapide. On a accepté tout de suite les directives du FMI, avec beaucoup de corruption. Nous avons aujourd'hui un Premier ministre, Simeon II, qui est aussi stupide que G. Bush.

Sophie et Fred : Y a-t-il beaucoup de racisme en Bulgarie ?

Ivo : En principe, nous sommes très tolérants en Bulgarie, mais comme le peuple s'appauvrit, il commence à blâmer les autres ethnies, surtout les Tsiganes. Il y a une montée du racisme anti-tsigane, parce que ceux-ci reçoivent des allocations, etc.

Sophie et Fred : Penses-tu qu'il y ait un regain d'intérêt pour les idées religieuses ?

Ivo : Comme le régime communiste était athée, tout de suite après le changement de régime, les gens ont commencé à aller de plus en plus dans les églises, mais on ne peut pas dire que la population soit plus religieuse. Elle est plutôt superstitieuse, c'est-à-dire que c'est une religion paysanne : si tu ne crois pas, quelque chose de mal va t'arriver, alors que si tu vas à l'église, tu auras de la chance. C'est ce qu'ils croient. Le pouvoir religieux n'a pas vraiment de poids en tant que tel, il est soumis au gouvernement, il ne prend pas d'ampleur. La seule fois où le pouvoir religieux s'est manifesté, c'était pour interdire le film la Dernière tentation du Christ à la télévision. En tout cas, tous les anarchistes bulgares sont athées, antireligion.

Sophie et Fred : Que penses-tu de la future adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne (prévue pour 2007) ?

Ivo : Je pense que ce serait un désastre pour la Bulgarie, mais on le comprendra seulement après l'adhésion. La seule chose pour laquelle ce serait positif, c'est de pouvoir voyager, travailler librement dans l'Union européenne. Mais le délai est important pour pouvoir travailler dans d'autres pays (sept ans...), ce ne sera certainement pas possible pour nous.

En tant qu'anarchiste, j'estime l'Union européenne comme une structure globaliste, et le réel chemin de l'union de l'Europe est autre. Ce n'est pas l'union de l'argent et du capital, des riches et des nations, qu'il faut, mais l'union des peuples et de tous, bien au-delà de l'Europe, même si ça pourrait commencer par l'Europe, mais pas de cette manière.

Il y a très peu d'informations, ici, sur l'Union européenne ; alors que les détails des accords de cette union sont très importants, on ne sait pas ce qui va réellement se passer pour nous. On voit seulement les grandes idées, qu'on pourrait prétendument mieux vivre si notre pays y adhérait. L'unique chose positive dans l'Union européenne, c'est que ce n'est pas une union militaire comme l'OTAN.

Sophie et Fred : Que peux-tu nous dire de la répression en Bulgarie ?

Ivo : Pour le moment, il n'y a pas de contrôle fort, mais ça commence à se faire sentir. Sous le couvert de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement se met à réprimer.

Il commence à y avoir des lois de plus en plus répressives votées par le gouvernement. Par exemple, si la police trouve un joint de cannabis sur toi, tu peux avoir une peine de prison de trois ans. Auparavant, si tu étais fumeur occasionnel, tu avais le droit d'avoir une petite quantité pour ta consommation personnelle.

Il y a eu de grosses manifestations à ce propos. Ils font passer de petites lois qui attaquent les libertés des gens ordinaires. Il y a quelque temps, en Bulgarie, il y a eu des assassinats, par la mafia certainement, mais là, il n'y a eu aucune arrestation.

Sophie et Fred : Et pour conclure ?

Ivo : Il faut que tous les groupes qui pensent différemment, qui sont anarchistes, maintiennent le contact entre eux, parce que nous sommes au seuil de la disparition du monde si nous ne quittons pas la voie capitaliste. Nous soutenons tous les mouvements qui partent de la base et qui luttent pour la liberté, anarchistes ou non.

Propos recueillis par Sophie et Fred du groupe Acratie de Chambéry, groupe.acratie _ chez_ no-log.org.