Entretien avec Riton

mis en ligne le 5 décembre 2004

militant syndicaliste à  SUD-Rail

Le Monde libertaire : Un supplément du Monde a titré dernièrement : « à quoi servent les syndicats ? » à brûle-pourpoint qu'en penses-tu ?

Riton : Pour tout dire, je ne me remets pas de cet article du Monde. Sans doute s'agit-il d'un papier sur « les nécessités du changement du syndicalisme en France devant sa faiblesse et les difficultés de Thibault à moderniser la CGT », antienne du journal.

Je pense que les invocations internationales pour exiger un changement syndical en France sont surtout des proclamations idéologiques. La force du syndicalisme international n'a jamais été aussi bas :
— Les internationales se sont écroulées et la structure mise en avant est la CES, soit une structure de pays « riches » au moment où l'économie se mondialise.
— La CES n'est pas une structure syndicale, mais un appendice social de l'Union européenne un peu comme l'ISR puis la FSM l'étaient de l'Internationale puis du bloc communiste, mais dans un contexte qui nie la notion de classes sociales.
— La désyndicalisation frappe tous les pays (et le recul social aussi).

Ceci n'est pas pour nous réjouir, mais permet de réfléchir à la crise du syndicalisme sans penser qu'il y a des recettes toutes faites, sans accepter les présupposés qu'on tente de nous imposer. On ne peut couper court au débat sur l'orientation et la fonction du syndicalisme par de simplistes slogans de comptables.

La question reste, à mon sens, de savoir si le syndicalisme s'inscrit dans une société en conflit d'intérêt, en tension sociale ; s'il a pour but de permettre aux salariés (disons au monde du travail pour englober les chômeurs - même si l'exclusion sociale est un sérieux problème pour l'organisation) de s'organiser collectivement pour résister et changer leur condition ; et s'il s'inscrit dans cette stratégie conflictuelle au sein d'une démarche démocratique, qui passe par la négociation, la réalisation d'accords ou de droits marquant l'état du rapport de force et de l'avancée sociale du moment.

Le discours dominant se drape dans le drapeau « réformiste » pour simplement nier cette notion de conflit et s'inscrire dans une logique de consensus mou. Loin du réformisme et bien sûr d'un propos révolutionnaire, ce discours est simplement celui de la soumission à l'ordre dominant.

Le projet porté par la CES n'est pas celui de l'organisation collective des travailleurs et de la confrontation avec le pouvoir économique, mais celui d'une instance de représentation institutionnelle des questions sociales. Ce projet fonctionne sur la base de professionnels des questions sociales.

Il est vrai que l'institutionalisation du droit syndical, la technicisation des négociations, l'éloignement des lieux de confrontation et les questions de pouvoir, entre autres, ont bureaucratisé les organisations syndicales à un point tel que la différence entre une banque, une préfecture et un appareil syndical ne saute pas toujours aux yeux. Mais dans le cas du projet de la CES, il ne s'agit plus, à mon sens, de syndicalisme. Ce projet nie l'aspect collectif pour lui substituer la représentation institutionnelle. Un syndicat c'est d'abord le regroupement de salariés décidés à se faire respecter, à se dresser, à reprendre une parole étouffée.

ML : Presque dix ans après 95, penses-tu que ça recule ? Avec le syndicalisme d'accompagnement, la CES, où est l'avenir d'un syndicalisme de lutte ?

Riton : Depuis, il y a eu 2003 et la bataille perdue sur les retraites, et puis aussi les nouveaux échecs de la gauche de gouvernement et le renforcement de la vague capitaliste libérale sur le monde. Le capitalisme marque des points, il dirige. Ces dernières années sont marquées par l'esquisse de nouveaux outils de résistances : l'alter-mondialisme comme champ général, le développement de syndicats SUD (regroupés dans les Solidaires) et de la CNT en France et d'autres mouvements syndicaux assez radicaux. On ne peut ignorer les évolutions des syndicalismes anglo-saxons, où se dessinent des évolutions au sein des syndicats uniques imposés par la loi. La période est donc marquée par une résistance qui ne trouve à s'exprimer et à peser qu'en dehors des champs tenus par les confédérations officielles (en général membre de la CES).

L'analyse des mouvements réels (y compris des conflits de 1995 ou 2003) démontre à la fois la nécessité d'une stratégie conçue dans une vision interprofessionnelle, mais aussi l'incapacité à faire vivre un mouvement interprofessionnel assez fort.

Pour l'instant la résistance trouve à s'exprimer en prenant appui sur des mobilisations professionnelles (Rail ou Éducation nationale). L'interprofessionnelle est le cadre nécessaire à une mobilisation qui s'attaque à un projet de société. Mais imposer à chaque mouvement professionnel l'exigence de porter la transformation globale, ce n'est pas sérieux... et surtout pas mobilisateur.

ML : En ce qui concerne les privatisations, quelles sont les réponses ?

Riton : Pour combattre les privatisations, il faut déjà en clarifier les enjeux. Vis-à-vis des salariés, l'objectif est celui du recul sur les acquis sociaux ; au plan général, c'est le refus d'une redistribution des richesses et la négation des choix politiques au profit des seules décisions des hommes de la finance.

La résistance corporatiste sur les acquis est légitime, lui opposer l'intérêt général est un piège. La privatisation, c'est souvent la sous-traitance, les hors-statuts. L'élargissement du champ de la résistance à la privatisation suppose que des modes de gestions plus démocratiques soient pensés, que la place du collectif comme moyen d'assurer aux individus une vie meilleure soit repensée et réaffirmée.