À bas la calotte européenne

mis en ligne le 5 décembre 2004

Ils ont donc réussi, malgré les dénégations successives, à introduire une dose de religiosité dans « leur » constitution européenne. Certes, on pourra toujours nous expliquer que ce n'est là qu'une évocation nécessaire à accepter pour calmer les velléités catholicardes de cette Pologne, passée directement d'un faux socialisme, à la mode stalinienne, à un authentique système capitaliste ravageur. N'oublions pas que cette Sainte Pologne est des rares pays européens où l'avortement reste interdit.

Le moment est peut-être venu de réveiller ce vieux sentiment d'anticléricalisme depuis longtemps remisé au magasin des antiquités pour ne pas effrayer les bien-pensants. On nous avait tellement dit que l'Église avait évolué, était devenue sociale, presque révolutionnaire, pourquoi pas. Ce qui permettait d'oublier pieusement l'opposition farouche du Saint-Siège à la contraception, en général, et au préservatif en particulier. Ce qui faisait de l'Église catholique l'un des meilleurs vecteurs du sida, en Afrique.

Il y avait même de joyeux loustics (traduction en français vulgaire de Lustiger), recrutés chez les « Assassins du Christ » pour prêcher la concorde entre les hommes, mais qui devaient s'avérer bien plus réactionnaires que les vrais cathos issus du sérail.

Entre les deux guerres mondiales, de bons esprits s'étaient acharnés à affirmer que c'en était terminé de ce combat au couteau de la France républicaine contre l'Église catholique. Désormais, on ne parlait plus que d'anticléricalisme désuet, tant il devenait naturel de voir les cafards réoccuper le terrain perdu au temps de la République des Ouïes : loi sur l'École laïque gratuite et obligatoire, loi sur le divorce, dissolution des congrégations et, au final, séparation de l'Église et de l'État.

Au fait, depuis 1905, les lieux de culte étant devenus bâtiments publics, la triple incantation « Liberté, Égalité, Fraternité », devait figurer au fronton de ces bâtiments, en quelque sorte nationalisés. Vous pouvez toujours écarquiller les yeux, ce graffiti légal, sans doute considéré comme une insanité, a disparu. Sans réaction. Tout comme on accepte que dans certaines écoles, faute de local, le curé y enseigne le catéchisme, tandis que des classes de cette école publique ont conservé cette croix, bien visible, réintroduite au temps de Vichy. Comme pour bien signifier que l'Église a marqué durablement son territoire, comme les chiens qui pissent contre les réverbères.

Pourtant, risquez-vous à crier « à bas la calotte ! » sur le parvis d'une église, à la sortie de la messe. On vous fera un mauvais sort, tout en vous désignant comme intolérant. Suivront les archers de Monsieur de Villepin, pour vous apprendre les bonnes manières, et vous embarquer pour « trouble à l'ordre public », et peut-être même « incitation à l'émeute » comme ils disent. Sans oublier l'outrage fait à l'église et aux forces de l'ordre réunies.

Où reste-t-il des espaces pour « à bas la calotte ! » dans cette Europe désormais réconciliée avec les héritiers de ceux qui évangélisaient les peuples au fil de l'épée ? Il a été jugé nécessaire d'oublier l'Inquisition et les bûchers destinés aux récalcitrants. On a oublié les prêtres et les évêques bénissant les massacres des infidèles, comme dans l'Espagne républicaine de 1936. Il faut relire Les Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos. Catholique bon teint, l'auteur de La Grande Peur des bien-pensants a été témoin, à Majorque, durant l'été 1936, du déchaînement des hordes franquistes, agissant avec la bénédiction du clergé local. En 1937, Georges Bernanos écrit de façon prémonitoire : « La chrétienté a fait l'Europe. La chrétienté est morte. L'Europe va crever. Quoi de plus simple ? »

Certes, c'était un autre temps, mais l'Église ne connaît jamais la modestie lorsqu'elle se trouve en position dominante. Cette Église est toujours disponible pour partir en croisade. Son mépris des valeurs humaines n'a jamais varié. C'est sans doute pour conforter cette volonté impérialiste que les « 25 » ont tenu à rappeler dans la dernière mouture de la constitution « L'héritage culturel, religieux et humaniste de l'Europe ». Que de précautions pour instiller un peu de ce passé odieux dans nos institutions.

Peut mieux faire, clament les esprits chagrins, les insatisfaits du confessionnal. « Pourquoi ne pas avoir évoqué l'héritage chrétien ? » Soyez sans inquiétude, mes frères, cela viendra. Et l'on verra ensuite monter une plainte depuis le Vatican, les derniers mots exhalés par Parkinson II, revendiquant avec véhémence l'inscription dans la constitution européenne d'un verset rappelant « l'héritage catholique » de la vieille Europe.

Ce n'est peut-être qu'un cauchemar, mais avant de nous couvrir la tête de cendres, il faudrait d'abord songer à renvoyer la calotte dans ses foyers !