Chasseurs de primes

mis en ligne le 12 avril 2004

Début février, le ministère de l'Intérieur annonçait que les policiers les plus méritants pourraient recevoir une « prime de résultats exceptionnels » sur leur bulletin de salaire de décembre 2004. Pour cela, les sbires de Sarko vont débloquer une somme de cinq millions d'euros qui permettra d'octroyer une prime de 300 euros à environ 10% des effectifs.

Le 20 février, c'était au tour du ministère de la Défense d'annoncer l'instauration d'un « système expérimental de récompense pour les gendarmes les plus méritants » en débloquant trois millions d'euros.

La seule différence dans l'octroi de cette prime dans ces deux corps d'État étant que les policiers seraient primés à titre individuel, alors que les gendarmes toucheraient une prime collective (statut militaire oblige).

Dans un État qui ne se préoccupe plus que de ses fonctions régaliennes et de maintien de l'ordre, il était évident qu'un coup de pouce serait donné à la police, d'autant que, propagande sur l'insécurité aidant, ces p'tits gars ont, dit-on, du pain sur la planche. On n'en attendait pas moins d'un régime qui se police de plus en plus.

Mais cette carotte qu'est la prime va être une véritable pression aux résultats exercée sur ces flics. Car les critères d'appréciation de l'efficacité d'un flic sont floues. Comment voit-on qu'un flic est efficace ? Lorsqu'il est à l'écoute de la population ou lorsqu'il arrête des « délinquants » ?

De même, pour faire du chiffre, ces flics seront poussés à faire plus de zèle, à mettre encore plus de PV. On n'a pas fini de croiser des flics sur les bords des routes avec leurs jumelles, à fliquer les endroits vicieux que compte le système routier français. Déjà qu'on nous met, à nous, de plus en plus la pression (vitesse, alcool, etc.) pour que nous intégrions des flics directement dans nos têtes, cette course à la prime ne va pas arranger les choses.

Enfin, cette introduction d'une prime au mérite chez les flics participe d'une idéologie déjà développée depuis un moment dans le gouvernement : l'introduction de cette prime dans toute la fonction publique. La droite n'aime pas les fonctionnaires qui ont (en théorie au moins) un statut égalitaire et des rémunérations identiques suivant les fonctions. Introduire cette prime au mérite c'est amener des critères du privé dans le public, c'est créer encore plus d'individualisme, c'est participer à la casse de ce statut.

Quand on connaît le but ultime qui est de passer tout ce secteur au privé et à la concurrence, une façon de se mettre le personnel dans la poche pour qu'il ne se rebelle pas et qu'il laisse faire, c'est en lui donnant les valeurs du capitalisme. L'octroi de cette prime fait partie de cet arsenal (médias, publicité, consommation, etc.) que possède l'état pour faire rentrer dans le rang et préparer, en douceur, le monde pourri qu'il veut nous faire vivre.

Alors, pour introduire le loup dans la bergerie, le plus facile c'est de passer par les personnels les plus dociles, les plus à même de servir l'État sans trop se poser de questions, à savoir : les flics.

Jean-Pierre Leavaray