Mon cher José,

mis en ligne le 25 décembre 2003

Souviens-toi, nos routes se sont croisées il y a quelques années. Tu es venu nous câliner un peu et puis il y a eu l'appel du Larzac, les brebis, le fromage persillé et, maintenant, te v'là en prison pour la troisième fois. T'en rates pas une décidément. M'enfin, bon… La justice à deux vitesses, tu connais. On va pas te la faire . Il y a ceux qui la font et ceux qui la subissent. Toi, t'es plutôt dans la seconde catégorie.

C'est pourtant bien gentil ton affaire. Pas de quoi fouetter un chat. Une caméra, une faux, trois grains de riz et quatre épis de maïs, les journalistes de France 3, et roule. Mais tu sais bien, comme nous, que la République n'aime pas les pieds de nez, et la propriété privée c'est sacré. C'est pas à toi que je vais l'apprendre.

T'inquiète pas, on n'est pas les seuls à trouver ça cradingue. Tu sais comme nous que la justice n'a plus qu'une place, la place Vendôme, et que les bourrins qui sont venus te chercher en hélicoptère parce que t'es pas n'importe qui sont les pitbulls de l'État. Me dis pas que t'attendais autre chose, quand même. Je suis bien sûr que t'as même pas eu le temps d'emporter ta pipe.

Tu dois quand même la trouver un peu saumâtre. Les bons gros cons de la FNSEA qui courent ventre à terre après avoir dévasté le bureau de la Voynet doivent en rigoler encore. Mais, maintenant, ils sont obligés de se fendre d'un communiqué pour te soutenir. Je suis mort de rire.

Mais, enfin, on va te défendre parce que ta cause est juste. Parce que, ici et maintenant, un syndicaliste en prison, c'est insupportable, parce que les OGM ne résoudront rien au problème de la distribution de la bouffe. Parce que des centaines de mômes africains vont continuer de crever avec des mouches dans les yeux et des ventres gonflés, et que le riz transgénique ils n'en verront jamais la couleur et qu'ils s'en foutent, parce que le sida fait mourir l'Afrique et qu'on s'en fout. Parce que la mondialisation, c'est un peu tout ça et tout ce qu'on ne soupçonne pas.

Oui, José, ton combat est remarquable. Remarquable par son culot, remarquable par l'utilisation des médias, mais qu'est-ce que t'avais besoin d'aller foutre sur ton tracteur pour te rendre en taule. Tu m'expliques un peu ? En taule, il y en a qui crèvent. Il n'y a que comme ça qu'ils s'évadent, et toi, t'y vas en causant dans le poste. Et qu'est-ce que t'avais besoin aussi de te faire éditer chez Vivendi. À la première émission de télé où tu as rencontré poliment Messier, il te l'a balancé gentiment dans la tronche.

Mais, enfin, bon, on va te défendre. Sincèrement, sans arrière-pensées, pourtant il y a la lutte syndicale… Tu sais, les trucs de mai-juin dernier. Les défilés où on t'a pas vu souvent d'ailleurs. M'enfin ! tu peux pas être partout. T'as les chèvres à traire tous les matins.

Mais, au bout du compte, on va te défendre, et même pas du bout des lèvres, parce qu'un Carlo Giuliani en moins c'est un mort de trop et que c'est notre problème et aussi le tien. On va te défendre parce qu'on aimerait avoir des nouvelles de René Riesel et des inculpés après les manifs d'Évian. On va te défendre parce qu'on en a plein le cul que des syndicats croupions signent n'importe quoi.

J'ai l'air un peu salaud et un peu amer, peut-être. On ne se moque pas des martyrs, c'est vrai. Je n'irai pas jusqu'à penser qu'on ne gracie que les coupables parce que moi je suis dehors et que ça serait trop facile. Mais, quand même, obliger Chirac à se découvrir… Joli coup politique. Joli coup de pub.

Alors, à bientôt dans la rue.

Jean-Pierre Gault